Caverne des Brigands ( Petite histoire…)

Caverne des Brigands ( Petite histoire…)

9 février 2018 Grottes Randonnée Spéléologie 0

La caverne des Brigands


La caverne des brigands conserve  encore une part de son mystère : y a -t-il eu des Brigands ou pas de brigands  dans cette caverne ?

Claude-François Dénecourt se promenait sur les platières d’Apremont, en cette douce fin d’année 1843, et il lui tardait de mettre en œuvre son nouveau projet un peu fou aux fins de valoriser encore cette magnifique forêt qui le passionne depuis plusieurs décennies et dont il s’est fait le chantre, le gardien, le promoteur, ce qui lui vaut notoriété, respect et …un peu de fortune aussi !
Mais la notoriété et la fortune sont deux valeurs qui doivent être sans cesse entretenues au risque de s’effondrer beaucoup plus vite qu’on ne les a construites !


Claude-François Dénecourt l’a compris depuis longtemps, et ce nouveau projet va se réaliser, c’est aujourd’hui qu’il décide du premier coup de pelle…et ce sera ici…Ici , sous cette superbe dalle de grès, très large, peu fracturée, pas trop épaisse, et avec un front d’attaque du creusement qui semble prometteur, le tout conforté par une facilité d’élimination de déblais dans la pente directe du chaos….Oui, c’est décidé, demain, le tenancier et ami de la grande buvette de Bas-Breau aidé d’une équipe aussi réduite que confidentielle, va entreprendre le creusement d’une caverne …elle sera moins grande que celle dite d’Augas, mais plus discrète, plus intimiste, plus sombre, plus mystérieuse, et même plus légendaire…avec des Brigands au menu !
Et l’année suivante, sur les cartes en usage pour promeneurs, chasseurs, cavaliers et peintres, on verra apparaître une nouvelle mention : « Caverne des voleurs »…C’est que cette appellation d’origine contrôlée par Claude-François lui est nécessaire pour étayer sa nouvelle fable destinée aux visiteurs curieux venus de toutes parts, notamment les touristes fortunés en résidence à Paris et ceux en villégiature à Barbizon, Fontainebleau ou Melun…C’est qu’il s’agirait d’un ex-repaire d’une bande de brigands-voleurs, la bande à Tissier, qui aurait sévi sous Louis XV…il n’y avait plus qu’à broder autour de la fausse information, invérifiable au demeurant.
L’affaire lui fut fructueuse une bonne vingtaine d’années quand même ! Il avait déjà 75 ans !

La caverne avait une renommée phénoménale, et fut très vite exploitée avec l’implantation de buvettes sommaires tout autour, et diverses animations rustiques. …un demi-siècle s’écoula…

Tout à fait en dehors de cette forêt, nous voici à fin juillet 1937, dans un hall de grand hôtel parisien, Mademoiselle Jean de Koven, danseuse de ballet américaine, en vacances en France, se voit abordée par un jeune homme, la trentaine, bien mis, très aimable, au regard qu’on qualifiera plus tard de «regard de velours »…On parle de magazines de mode, on bavarde, on rit, et elle se voit proposer une promenade en automobile, ce qui distinguait, à l’époque, les jeunes gens de bonne famille a priori bien éduqués, et, de fait, le jeune homme a de bonnes manières et se révèle trilingue, avec un accent germanique. On se promène, on boit, on fait les guinguettes, et, bien sûr, on danse…Viennent alors les baisers, les caresses, le flirt se précise, et Jean accepte de se rendre à la Villa La Voulzie à La Celle-Saint-Cloud, pour une soirée très affectueuse. Mais, parvenue dans les lieux, on la drogue avec du lait trafiqué, elle est molestée, et apprenant qu’il n’y a pas de rançon à espérer, lâchement étranglée, puis enterrée après avoir été délestée de 12500 f en Travellers chèques, environ 6000 euros actuels…tuée par une bande de quatre escrocs pour l’équivalent d’un mois et demi au smic actuel chacun…et enterrée sommairement sous le balcon de la villa.


On ne verrait pas le rapport avec notre Caverne, si, deux mois plus tard , à la suite de la parution d’une fausse annonce recherchant une gouvernante, Madame Janine Keller, jeune alsacienne femme de chambre récemment divorcée n’était pas tombée dans le vilain piège tendu par la fameuse bande des quatre… Après un accueil agréable et son installation à la Villa, ses valises sont fouillées, des vêtements et des bijoux volés, elle se découvre séquestrée derrière les hauts murs de la propriété, puis, le 4 octobre, elle est emmenée de force à Barbizon, sous la menace et des coups portés, elle est entraînée dans la caverne, détroussée d’un mandat-lettre qu’elle portait dans une poche cousue, 1500 malheureux francs…ses deux agresseurs l’abattent alors sur place, un revolver sur la nuque, et creusent rapidement une vague fosse à main nues, avec une branche et un démonte-pneu dans ce qu’ils ont pris pour une sablière…la Caverne des Voleurs devenus Brigands par la suite.
Les assassins, Roger Million et Eugen Weidmann ne vont pas s’arrêter là, hélas…3 autres meurtres prémédités seront encore commis dans les six semaines qui suivront lorsque les enquêteurs vont leur mettre la main au collet, ce sera le 8 décembre, avec violences sur deux policiers. Le cerveau, si l’on peut dire : Eugen Weidmann, qui va avouer six meurtres.
L’instruction aura duré plus d’un an, le procès aura lieu le 10 mars 1939.

Entre temps, auront eu lieu deux scènes incroyables, impensables de nos jours, autour de la Caverne…
Début décembre 1937, donc, l’interrogatoire amène l’information que le corps de Janine gît à Fontainebleau-forêt…l’info filtre par la presse, et on verra des foules errer dans la forêt à le recherche obscène du cadavre. Puis, l’information se précise, et les déclarations de Weidmann laissent à penser que c’est vers Barbizon qu’il faut chercher…C’est la ruée des hordes de fouilleurs, et une battue énorme est auto-enclenchée. Le commissaire en charge de l’affaire et le maire de Barbizon réquisitionnent deux habitants avec pioches et pelles, on est le 12 décembre, il est près de 16 heures, déjà nuit tombante, les éclairages acétylène sont en service…et c’est un cordon de personnes avides de sensations morbides qui s’agglutinent à la formation officielle…on veut être le premier à voir la morte… !
Seules quelques personnes seront autorisées à entrer dans la caverne…quelques pelletées de sable, et le corps apparaît, sur le flanc gauche, un bras retourné, la jambe droite repliée, vêtu de bas gris, jupe grise, manteau gris, déchaussé…une bague en or trop étroite pour être facilement ôtée…Janine a été tuée pour un mandat de 800 euros de nos jours.
A 18 heures, le corps est mis dans un cercueil sur place, et transporté à dos d’hommes sur 600 mètres de rochers, accompagné d’une foule devenue énorme, et transporté à la morgue de Fontainebleau qui révèlera qu’elle n’ a pas subi de viol, comme ce fut hélas le cas pour Jean de Koven .
Mais ce n’est pas tout…un des ouvriers qui pensait retrouver les chaussures ou la douille de la balle meurtrière, découvre une photo d’identité pliée en deux…C’est bien Weidmann…photo tombée de sa poche ou volontairement abandonnée là par son complice Million pour le confondre ultérieurement ?


La seconde scène eu lieu le 22 juin 1938, lors de la reconstitution ordonnée par le juge à la Caverne des Brigands. Un bataillon de policiers entourait le Procureur, le Maire, le Préfet, les avocats, et bien sûr, les prévenus accusés.. ces derniers progressaient enchaînés, sous les appareils photos…
La reconstitution fut rapidement menée, à la lumière de torches, un policier tint le rôle de la victime, Weidman fut doté d’un revolver et tout ce qu’il fit, avec un stoïcisme effrayant, concordait avec les relevés et conclusions. Il ressortit. Il y avait quatre avocats, dont le célèbre Moro-Giafferi, défenseur de Landru., et   une femme, Renée Jardin…celle-ci avait eu à parler avec Weidmann, et elle avait été la seule à recueillir des propos sensibles.

Tandis qu’il attendait, la tête baissée entre ses deux gardiens, elle s’approcha et lui demanda à quoi il pensait…Après un long silence, il releva la tête et dit : «Meine Mutter » ( Ma mère )
Eugen Weidmann pleurait. Des flashes crépitèrent…
La presse fit grand bruit du tout…ainsi donc, le monstre aurait aussi un cœur…
Ceci déchaîna tout une série de réactions contradictoires et de sévères débats…Weidmann reçut en prison des centaines de lettres de religieux inspirés et surtout, de femmes hystériques admiratrices…courriers qui ne lui furent pas transmis.

Enfin, le procès eut lieu…Vincent de Moro-Giaferri fut brillamment éloquent, il arc-bouta sa plaidoirie contre la peine de mort, il fit tout pour que son client échappe à la guillotine…
Confronté à la mère d’une victime, Weidmann se leva, une larme sur la joue, et déclara  « Je demande pardon, pardon Madame, prenez ma vie, je le mérite »
Et la mère répondit, avec une voix haute et claire, très digne, « Oui, je vous pardonne, comme Dieu vous aura pardonné «
Alors Weidmann s’élança, le front levé, « Merci pour votre pardon, il me faut retrouver Dieu, le Dieu que ma mère vénérait, et pour ce pardon, mesdames et messieurs les jurés, j’offre ma vie, prenez-la ! »
Un silence terriblement pesant suivit…Soudain une des avocates d’une victime lança « Cessez donc cette comédie, ce théâtre, on reconnaît bien le style de maître Jardin ! »
Il y eut un tumulte, le Procureur Balmary se lança dans un réquisitoire accablant …et réclama la peine de mort sans hésitation.
Le 31 mars le verdict tomba : Colette Tricot, fut acquittée, malgré le vol et le recel.
Jean blanc, essentiellement conducteur et homme à tout faire : 2 ans de prison.
Million et Weidmann : peine de mort.
Lors de leur recours en grâce, Weidmann écrivit une longue lettre au Président de la République, Albert Lebrun, par laquelle il s’accusait de tous les meurtres et déchargeait Million…qui vit sa peine commuée en détention à perpétuité, le 16 juin 39.
Lui seul vit donc sa demande de grâce rejetée pour exécution le lendemain…

Malgré la tradition qui voulait que le condamné à mort ne soit pas prévenu de la date de son exécution, Weidmann le sut…le bruit de la construction des bois de justice l’informa.

Cette exécution connut une suite d’événements étranges.
On vint présenter , au petit matin du 17, une paire de chemises, une bleue, une blanche. Weidmann choisit la bleue. On lui accorda un entretien avec l’aumônier, …Lorsqu’un greffier accourut tenant un télégramme d’Amérique, en anglais. Il fut traduit par une avocate des victimes…la famille de Jean demandait que le condamné dise si oui ou non il avait violé leur fille…Après un silence terrible et un geste d’encouragement de ses avocats, Weidmann eut cette expression effrayante de la part d’un étrangleur à mains nues « Non, je ne l’ai pas…TOUCHEE »
Il reçut l’action de grâces on découpa le col de la chemise et rasa sa nuque, et, selon l’usage, on lui donna sa dernière cigarette et un verre de rhum…

Un second greffier accourut, on avait oublié quelque chose…Ah, oui, Weidmann devait signer…sa levée d’écrou ! C’est que le condamné allait sortir de la prison…en ce temps, on tranchait les gorges sur les trottoirs des villes…
Le sinistre cortège s’ébranla, les portes furent ouvertes, et sous le grand porche, à Versailles, on découvrit soudain qu’une erreur administrative faisait se dérouler l’exécution une heure plus tard que cela aurait dû…au lieu de l’aube, il faisait déjà grand jour !
Weidmann apparut au public massé là en un grand demi-cercle jusqu’au milieu de la rue, et le hasard, encore lui, fit que son exécuteur était un novice en la matière…ce serait sa première exécution, en tant que neveu héritant de la charge de bourreau du célèbre Jules-Henri Desfourneaux, récemment décédé.
On amena Weidmann entravé, avec un bruit de cliquetis macabre, on le coucha sur la bascule de la « grande veuve noire », et celle ci, mal réglée par Deibler, apprenti bourreau, fit que la tête du condamné buta violemment sur la lunette de bois…Weidmann cria « Mon Jesus, miséricorde… ! » La foule murmura, le cordon policier se durcit.
Il fallut tirer la tête par les cheveux, les oreilles pour que le cou vienne s’ajuster comme il convenait…Enfin, le couperet s’abattit…un « geyser de sang fusa » selon les propos de son avocate, et Maître Moro-Giafferi, s’avança d’un pas et hurla : « Cet homme à vécu comme un monstre…mais il est mort comme un saint ! »
Il y eut un silence de plomb, et soudain, la foule rompit le cordon policier, on vit des femmes se jeter sur la mare de sang pour y tremper leur mouchoir en souvenir d’Eugen, et même une dame de haute société tenter de soudoyer l’assistant chargé de recueillir la tête de Weidmann pour acheter cette tête !  Une tête de brigand criminel…

Tout ceci fut mitraillé de flashes et même filmé…
Il y eut ensuite un scandale public énorme, qui poussa le président du Conseil d’Etat , Daladier, à prendre une mesure interdisant dorénavant toute exécution en public dans toute la France.
Ce fut sans doute une contribution posthume positive de Weidmann…
De fait, l’exécution suivante eut lieu à Saint Brieuc, le 19 juillet, 39 dans l’enceinte de la prison.
En septembre 1977 eut lieu le dernier guillotinage en France, après que plus de 20 000 têtes eurent été ainsi tranchées en moins de deux siècles, de 1792 à l’abolition de la peine de mort en 1981, approuvée par 75 % de la population.
Pour triste mémoire, rappelons que les premières exécutions voyaient le condamné en chemise rouge, avec cagoule noire, pieds nus, monté sur l’échafaud, lecture publique de ses méfaits, et le poignet droit tranché net avant d’être guillotiné…il fallait qu’il y ait humiliation et souffrance pour expier…c’était la loi…

C’est ce petit morceau d’histoire, hélas vraie, dont cette Caverne des Brigands fut partiellement le théâtre, voici 55 ans, l’âge qu’avait Claude-François Dénecourt, lorsqu’il la fit creuser…

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