La Carrière du Village (1) 262

La Carrière du Village (1) 262

15 janvier 2020 carrières diverses 0

La Carrière du Village (1)     262

Cet article est le premier d’une trilogie (Voir 263 et 264 pour les autres). Il reprend mais surtout complète très largement l’article N° 051.

De nombreuses carrières de calcaire se sont développées au cours des siècles autour du village et sous le village  de Savonnières-en-Perthois, dans la Meuse ainsi que dans sa contrée.
La synthèse qui suit résulte de recherches succinctes sur Internet, de dialogues locaux, d’observations directes. Le seul ouvrage sérieux que nous connaissons a été rédigé par l’historien local Yvon Gaillet, mais divers auteurs d’articles spécifiques ont apporté leur pierre (si on ose dire !) à la meilleure connaissance des lieux, soit pas essais, par hypothèses, soit avec des certitudes étayées.


L’objectif de ce travail modeste de synthèse, volontairement courte et accessible à toutes et tous, est de permettre à ceux qui ont « visité » cette carrière ou qui la visiteront un jour, la plupart du temps très partiellement et en coup de vent, d’en savoir un peu plus s’ils le souhaitent.
Mais cela intéressera peut-être aussi celles et ceux qui n’y sont jamais allés et n’y iront jamais !
Il est possible aussi que cela vienne compléter ou corriger des informations données oralement lors d’excursions de tout poil par des « guides » improvisés, le plus souvent de bonne foi et de bonne volonté, mais dont les connaissances sont floues, voire incomplètes et/ou erronées…ce qui est bien dommage !

Ce condensé d’informations ne concernera que la Carrière dite « Du Village », ainsi nommée car elle est sous-jacente à l’emprise au sol de la quasi-totalité de ce dernier (Sauf le cœur du vieux village) qu’elle dépasse largement…il y a ainsi une sorte de développement  de société civile sur deux niveaux, l’un aérien, l’autre souterrain, et il y eut une époque où, à certaines heures de labeur, il y avait bien davantage de monde sous le village que dedans !
L’extension globale de cette carrière géante, qui est en fait l’agrégation de plusieurs plus petites, avoisine 85 ha (1 ha égale 10 000 m²) soit environ l’équivalent de 125 terrains de football !
Divers éléments fiables permettent de situer les premières exploitations à ciel ouvert à – 200 ans avant Jésus-Christ, on en est donc à plus de deux millénaires d’existence pour l’ensemble, ce qui peut inspirer un certain respect.
Du Gallo-romain on retrouve des sépultures, et du Mérovingien (Vème à VIIIème siècle après J-C), des sarcophages monoblocs.


Une rationalisation progressive est observée dès lors que les hommes sont passés à une exploitation souterraine parce que le couvert devenait trop épais et difficile à creuser puis évacuer avant d’atteindre la strate calcaire désirée, ceci vers 1850.
Il en ressort une forme de quadrillage de galeries dont la somme des longueurs est estimée à  190 km (fourchette allant de 170 à 200 km selon les auteurs).
Pour simplifier et coller au minimum de la fourchette, on imaginera 85 galeries de 100 m dans une direction et 100 galeries de 85 m dans une autre, perpendiculaire à la précédente, galeries de 5m et piliers d’autant…et voilà 170 km !
Selon les deux plus grands axes, et « à vol d’oiseau », l’extension est de 1,5 km –(NO-SE) et 1,2 km (SO-NE) environ .

Actuellement ce site est sous gestion et contrôle de la Préfecture meusienne, une convention d’accès et d’usage étant établie avec la LISPEL.

Aspect géologiques essentiels et exploitations du calcaire

Le calcaire de Savonnières est de type oolithique, c’est-à-dire constitué de milliards de minuscules particules ovoïdes agrégées (0,5 à2mm). Il est daté au sommet de l’étage tithonien, soit la fin du Jurassique, entre – 152 et – 140 millions d’années.
Il est très compact, donc propre à la construction d’édifices lourds, et cette compacité associée à une grande homogénéité de la strate facilite l’extraction de monoblocs de dimensions importantes.


De plus, cette compacité implique une faible porosité de l’ordre de 36%, donc une faible imprégnation hydrique, ce qui rend la pierre de Savonnières non gélive, et durcissant bien en séchant à l’air, là encore des qualités pour la construction d’habitations et de monuments.
Enfin, cette pierre relativement tendre quand elle est mouillée,  d’un blanc-gris pâle, est finement sculptable et assez facile à scier, car le grain est fin et sans impuretés siliceuses, la rendant de surcroît patinable  ce qui a fait une part de son succès.
Du temps des Romains le calcaire tendre était découpé à l’aide d’une scie à sable (la scie n’avait pas de dents) abrasif…on comprend l’intérêt de l’oolithe présente !

La couche de ce calcaire oolithique, vacuolaire, car les oolithes présentent des microcavités superficielles (0,1à 0,5mm) a une épaisseur d’environ 3 m, relativement constante, et est surmontée d’un joint de stratification facilitant son défruitement.
Pour cette raison, les carriers ont mis en évidence de nombreux ciels présentant des « ripple-marks » c’est-à-dire des moulages fossilisés d’anciennes plages littorales. On a même pu en déduire (axe majeur des rides à 160° en moyenne) que le rivage se plaçait au sud-est et que la sédimentation s’est développée en milieu aquatique marin peu profond mais agité pour créer des oscillations.
Il y a deux niveaux de ripple-marks, séparés d’une strate de 10 cm environ, les plus anciennes sont larges de 30 à 40 cm environ les plus récentes de 5 ou 6 seulement, ce qui atteste d’une mer très peu profonde.
Les grandes rides, peuvent avoir une hauteur de 3 à 4 cm, ce qui montre une agitation du rivage assez importante.
La roche est peu dense (1,7 gramme au cm3) mais résistante à la pression jusqu’à 120Kg/cm² (en moyenne un homme exerce une pression de 200 grammes par cm² de sol en station debout…)


La structure géologique est à peu près tabulaire, ce qui explique la quasi- horizontalité des galeries. De nombreuses circulations d’eaux y ont creusé des galeries à la faveur des fissures majeures, créant les « viailles », quelques-unes suffisamment béantes pour permettre la visite humaine plus ou moins profondément.
On connaît aussi des failles orientées SE-NO. Certains puits sont marqueurs de miroirs de failles normales.
Ce calcaire est le plus généralement azoïque, on ne peut y trouver de fossiles d’anciens animaux marins ou autres, hormis dans des lentilles coquillières éparses dites « fromentelles ».
Il est constitué de carbonate de calcium presque pur (98%).
La Pierre de Savonnières a donc permis l’édification de bâtiments importants tant par leurs dimensions que par leurs destinations d’usage. C’est surtout à compter du XIXème siècle que la réputation et la commercialisation de ce calcaire fin, très clair, et aux diverses qualités pré-citées vont s’étendre à toute la France et au-delà de ses frontières…
On peut citer avec certitude, et pour l’exemple, N-D de Reims, Eglise Sainte Trinité parisienne, Cathédrale de Troyes, des églises en pays étrangers (Belgique, Pays-bas) Banque de France de Chaumont, Collège Saint-Louis parisien, Château de Morley au XIVème siècle.

Au final, les derniers blocs officiellement sortis en 2003 (mais plusieurs de ceux restés en attente, alignés par centaines dans diverses galeries, ont été extraits en petit nombre, de-ci de-là, le plus souvent « discrètement » un petit bloc de 1m3 ne pesant  pas deux tonnes…une bonne remorque plateau deux rails et un treuil suffisent !)…Mais pour les gros blocs de 2m d’arête, on passe à…15 tonnes !

On estime que près de 2,5 millions de m3 ont été extraits du sous-sol de Savonnières…soit 180 000 m de galeries x 3 m de hauteur x 4,5 m de largeur
Une part importante y est restée sous forme de poudres et menus débris, blocs rejetés,  les premiers constitutifs de bourrages d’ex-galeries, les derniers constitutifs de hagues pour contenir les bourrages.
Ces hagues peuvent être élevées en pierres sèches multiformes souvent appariées avec art, en blocs informes cimentés, plâtrés ou montés avec de la boue, ou encore en moellons parallélépipédiques soigneusement montés au mortier.

L’on peut aussi rencontrer, assez fréquemment, de simples remblais déversés et poussés avec des engins divers, laissant au plafond des espaces décimétriques à métriques, et formant ce qui s’appelle localement des murgers. (Mais à l’origine le mot ne désignait que les murets), dans lesquels la progression humaine est assez éprouvante. ?

On peut aisément trouver les marques des méthodes successives de creusement, du pic et lance à la haveuse, en passant par le minage et explosifs.
De même, du fait des arrêts d’exploitation plus ou moins brutaux trouve-t-on plusieurs fronts de taille illustrant les étapes successives d’extraction des blocs.

Au plus fort de ses développements, la Carrière du Village a compté jusqu’à 17 exploitations différentes, certaines associées, d’autres concurrentes.
On peut citer : L’avenir, L’Espérance, Cochin, Hauvion, Platées, Rousselle, La Machine, Le Paquis, La Valotte, La Couleuvre, Champ-au-Vin, Derrière l’Eglise, Boivin, Marlière, Moulin-à-Vent…
Elle donnait, à son apogée et avec les carrières voisines, du travail à plus de cinq cents personnes sur place et en nourrissait  trois ou quatre fois plus ! C’était considérable…
Il existe un plan d’origine complété au long du temps, à l’échelle 1/1000ème ce qui est d’une grande précision.
Comme toutes les carrières de calcaire, celle-ci a connu l’évolution technologique du transport électrifié sur voie ferrée, après des siècles de charrois tirés par des chevaux succédant eux-mêmes à des siècles de chariots tirés par des bœufs…


Les engins à traction équine furent remplacés par des FAR à trois roues dès 1950.
Les rampes ont pu être équipées de treuils ou de baritels.

Il y eut près de 9 km de voies ferrées dites « de 60 » selon le système Péchot de 1888, et des éléments amovibles portables à deux de type «Decauville » qui permettait de modifier et créer rapidement des variantes au fil de l’exploitation…une sorte de recyclage systématique de l’époque !

Une ligne ferroviaire fut créée en 1880 de Ménancourt à Guë. Le trafic s’y arrêta définitivement en 1969. Une rampe ferrée y accédait au sud de la Carrière.
Le transport passa alors aux camions routiers  et aux péniches.

Il y eut, forcément, des accidents et des drames.
Des « remontées de carrière » ou décollements surviennent parfois, restant rares, grâce à un taux de défruitement raisonnable et à cette strate peu fissurée.


Un énorme effondrement en 1874 dans une zone de 300 m² dont un  puits d’accès à escalier en colimaçon de 27 m, sans victime car les ouvriers avaient détecté des craquements et vibrations bizarres…suivi d’un nouvel effondrement 1 an plus tard en 1875 sans personnel présent qui condamna définitivement tout accès en ces lieux. On peut y observer de nombreux signes d’affaiblissement des piliers…

Il existe encore deux exploitations à ciel ouvert au nord du village (Rocamat)

 

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