Chemin de trouvailles sous terre      374

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24 janvier 2021 carrières diverses 0

Chemin de trouvailles sous terre      374

Un projet spéléologique vient d’être jeté à terre pour cause de restrictions horaires censées lutter contre la propagation de la trop fameuse Covid-19, mesures dénuées de tout sens dans le cadre d’activités telles que nous les développons et là où nous les vivons.
Afin de ne pas pousser nos membres à la désobéissance civile et à des pénalités financières, nous organisons une sortie de substitution qui n’aura de commun que son caractère souterrain…et nous permettra d’éviter une période pluvieuse et froide annoncée !

Une petite visite se limitant à un cheminement d’observation, et, autant que possible à la réflexion ou à l’imagination…

Entrée de la première cavité…c’est un cavage abandonné, immense galerie,  au  moins 10 m de hauteur, 4 ou 5 de largeur, et de nombreuses traces de foyers sauvages…on imagine nos ancêtres préhistoriques et certaines tribus actuelles encore, de réfugiant dans les cavernes et entretenant un feu, gage de leur survie.

De gros entassements de terre et de gravats font penser à un bourrage massif, lequel ne semble pas avoir été mené à son terme, laissant encore passage aux piétons, il est peut-être dommage de faire ainsi disparaître les vestiges du patrimoine industriel local, à la base du développement des villes alentour durant le XX ème siècle, et même déjà à la fin du XIXème !
Lorsque l’on atteint la zone du noir permanent et que les lampes deviennent indispensables, on découvre les témoins en place du travail de protection développé à l’époque avec empirisme et technicité acquise « sur le tas ».


Certaines parties sont presque des œuvres d’art, et la conservation des boisages est assez étonnante…

Les grands chapeaux de chêne reposent sur les potelles soigneusement taillées à la rivelaine et au ciseau à pierre, avec un ajustement aux coins de bois.
Il y a des supports de corniches, et au ciel d’une galerie persiste le réseau de garnissage à petites poutres dites « brindilles »…bien qu’elles soient grosses comme le bras !

La suite nous montre des remblais qui grimpent presque jusqu’au toit, et on peut observer de près les potelles ou les trous de forage qui permettaient d’enfoncer de grosses chevilles de bois en rondins.

Plus loin, des traces d’occupation humaine récente, attestant d’un campement rudimentaire d’un S.D.F., soigneusement choisi dans un angle dépourvu de courants d’air.


Un passage sur un balcon donne accès à une galerie curieusement tapissée au sol d’une épaisse couche de poudre de bois décomposé, et de piliers et chapeaux tombés couverts d’une épaisse moisissure d’un joli jaune…On n’en sait pas le nom, mais elle s’étend sur des rondins entiers  de plusieurs mètres.

Sur une grosse poutre, sans que nous sachions s’il s’agit du même organisme fongique, s’est développée une sorte de houppelande cotonneuse d’un blanc pur, associée à ce « gilet jaune » de la nuit, beaucoup plus calme et inoffensif que certains autres certains jours…bien qu’ils aient eux aussi poussé comme des champignons !

Poussés par notre curiosité, nous gravissons un grand tertre qui nous permet d’aller toucher le ciel à nouveau, pour parcourir les galeries naissantes de l’époque, les plus récentes, donc, dites « souchets ».
Cela nous offre des fronts de taille laissés en l’état lors de l’abandon de l’exploitation, en des années où on utilisait plutôt la poudre que les pics et lances. Des forages  à la tarière (ou au fleuret) étaient ensuite bourrés de poudre noire.

Il vient à l’esprit une scène ouvrière dans laquelle les gypsiers, courageux travailleurs des profondeurs minérales, s’affairaient en équipes à extraire cette roche…matière première de l’ « or blanc », le plâtre…on peut songer que ce matériau est utile à l’humanité depuis…10 millénaires déjà !
De la Turquie néolithique (-9000 à – 6000 ans avant J-C) à nos jours, en passant pas les civilisations grecques et romaines, le plâtre aura servi à de multiples usages, dont beaucoup pour la construction d’habitations.


Richesse du sous-sol de région parisienne entre autres…des dizaines de milliers d’emplois directs et indirects…
Mais c’est, là aussi, des occupations modernes qui nous laissent trouver tables et sièges improvisés, avec, hélas, des déchets abandonnés-là, mais aussi des essais de sculpture assez réussis…c’est que l’or blanc aura bien servi les arts du moulage et de la sculpture pendant des siècles aussi !

L’un des souchets non étayé dans une zone de ciel très fracturé, donne le spectacle du résultat après quelques années : une couche de 30 cm s’est intégralement effondrée sur une cinquantaine de mètres et deux de largeur…soit 30 m3, ou environ 65 tonnes…mieux valait ne pas être en-dessous ce jour-là !

Dans un des souchets subsistent des godets de berline, et une travée de rails Decauville, en portées amovibles portables par deux hommes, système ingénieux et économique qui permettait de doter les nouvelles galeries d’un chemin de fer en récupérant celui des anciennes. Ce dispositif remplaça peu à peu le transport en charroi tiré par des chevaux, des ânes ou des bœufs, mais aussi par des hommes, tâche ingrate aussi pénible que dangereuse.

Nous continuons notre promenade qui nous amène à des galeries laissées en l’état originel, soit près de 18 mètres de hauteur…on y trouve beaucoup de renforts de piliers, par ancrages et boulonnages, ou encore par des rails profondément scellés. Les boisages encore en place sont pour la plupart pourris et ne tiennent plus que par « enchantement », nous évitons de stationner dessous…tandis que certains tombés au sol supportent eux-aussi de vastes plaques de moisissures jaunes ou blanches, avec une curiosité esthétique : de petits îlots d’un jaune très soutenu cernés d’un nappage blanc qui figurent curieusement des œufs sur le plat…


Nous poursuivons la visite et découvrons un très haut pilier maçonné en parpaings, dont il est dit qu’il est l’œuvre de l’armée allemande, à un moment où le commandement envisageait d’utiliser certaines carrières pour des stocks de matériels et munitions…mais il n’en eut heureusement pas le temps.

Bientôt un air plus froid nous indique que nous nous rapprochons d’une sortie, et c’est avec un duo de percussionnistes traditionnels installés au dernier cavage que nous achèverons cette première petite randonnée souterraine, sur des rythmes dansants.

 

Première, car nous avons prévu une seconde visite, qui sera cette fois plus basse en altitude et va nous conduire dans la seconde masse du gypse, bien moins épaisse que la première et plus que la troisième…inaccessible humainement dans ce secteur (bien qu’il existe des galeries détectées par des géoradars PulseEkko, et par sondages, mais pas mises à jour).

Nous voici donc repartis à la faveur d’une éclaircie météorologique vers une entrée relativement confidentielle comparée à la précédente, beaucoup plus étroite et s’enfonçant dans le sol.
Elle n’a rien d’officiel, il s’agit en fait d’une éventration de puits d’aérage accessible grâce à un effondrement, ayant donné lieu à un fontis accolé au puits.

Nous nous immisçons entre briques et rails plantés pour accéder à la carrière tout près d’un autre fontis très important par lequel on ne peut passer qu’avec des techniques de cordiste ou de hautes échelles.
L’ambiance est très différente, la hauteur n’étant plus que de quelques mètres et la forme des galeries à section carrée au lieu des immense voûtes « gothiques » de la première masse.

Un balisage réalisé à la peinture, sous forme d’énormes chiffres, va nous amener à construire notre incursion comme un jeu de piste, en cherchant la voie tout en observant divers éléments. Il s’avère rapidement que cette carrière, bien moins facilement accessible, a conservé beaucoup plus d’objets, même si les plus intéressants ont bien sûr été récupérés pour usage direct ou pour recyclage.


Nous avisons d’abord l’ex-entrée  en tunnel…tout à fait remarquable et présentant successivement une voûte en pierres gypseuses montées au plâtre, avec soutènement en rails posés à plat, puis sur rails cintrés et garnissage de rails, puis une double-voûte de pierres et de parpaings pleins à crans coulés…

En cet endroit précis, on peut aisément se représenter les files d’ouvriers qui pointaient au matin et au soir, avec leurs petites gamelles du déjeuner et leurs godillots, déambulant dans ce tunnel pour 10 heures de labeur quasi-continu, qu’il s’agissent des gypsiers ou des champignonnistes, les uns debout à manier les pics et pelles, les autres à genoux ou courbés pour ensemencer ou récolter…que nous plaignons-nous de nos jours  pour nos 7 ou 8 petites heures quotidiennes dans de bien meilleures conditions de travail…?


Si certains passages de cette ruelle maçonnée inspirent encore toute confiance, il n’en va pas de même pour quelques mètres fortement ébouleux au départ, au point d’avoir obstrué l’issue ( l’extérieur n’étant qu’à une dizaine de mètres de là), et un tronçon très accidenté où il est essentiel de ne rien toucher ou choquer pour ne provoquer aucun déséquilibre supplémentaire.
Ressortis de ce long boyau nous voici allant bon train de galerie en galerie…

Nous y trouvons plusieurs portes géantes en tôle et, très vite, les fameux sacs plastiques emplis de terreau et de craon, caractéristiques des champignonnières d’après-guerre…le plastique, et l’industrialisation, déjà…
Il y en a des milliers, consciencieusement alignés et ménageant deux petites allées entre d’interminables rangées de poches…mais nous n’y verrons aucun champignon, ni « de couche » ni opportuniste.

Ces mêmes poches ont été, pour certaines, réutilisées pour bâtir des remparts divers, ceci par des visiteurs amateurs de jeux de bataille, avec des camps adverses, ou encore jouer aux gendarmes et aux voleurs ! Pour autant, nulle trace de billes de peinture de Paint-ball, pas plus que de billes de pistolet à air comprimé…tout laissant à penser que les éventuels projectiles étaient des poignées de craon ou bien qu’il s’agit de « guerres » à coups de fusils laser (?)

Plus pacifiquement seront observables les terrasses successives d’exploitation, et un puits d’aérage servant de captage de nappe phréatique.
C’est le seul a être resté intact du bas jusqu’en haut, et nous pensons qu’il mérite d’être parcouru sur une corde pour en observer les détails, car quelques concrétions y sont certainement présentes et intactes.

A la base de ce dernier, une goulotte amène l’eau ruisselante dans une grande cuve bétonnée, et, de là, part un réseau de tuyauteries en acier desservant de grands éviers et quelques points d’eau isolés…dont certains encore en place .


C’est après cet endroit que l’on peut voir de nombreuses cloches de détente, marquées par la strate de marnes d’entre-deux-masses, caractérisée par sa couleur brun-verdâtre et ses tranches noirâtres, extrêmement fissurée, et dont des blocs semblent prêts à chuter à tout instant et au moindre petit choc…nous éviterons sagement de nous hasarder sous ces coupoles !
L’une d’elles ayant fini par créer un effondrement important, nous constaterons que l’itinéraire a « perdu » une balise…une très grosse pyramide d’éboulement ayant fermé une galerie et enseveli les flancs des piliers voisins.µ

Cela donne une idée du volume d’éboulis que la brusque détente d’une coupole peut engendrer, volume capable d’envahir tout un croisement de galeries…30 m3 au minimum…60 tonnes !
On comprend alors pourquoi, toujours dans cette zone de fragilisation probablement due à la présence de ces marnes plastiques gorgées d’eau exerçant des pressions considérables sur le ciel de carrière, on trouve aussi quelques piliers maçonnés alors que, partout ailleurs, il n’existe que des piliers tournés, donc façonnés dans la masse. Sans ces piliers intelligemment positionnés, le toit de carrière n’aurait pas tenu bien longtemps…

A la faveur de souchets épargnés par les éboulements ou par les comblements mécanisés, nous découvrons quelques marquages chiffrés historiques, faits à la peinture ou craie de bleu de Prusse, couleur intense, dont le pigment n’est pas dissous par l’eau…ce qui l’a conservé jusqu’alors. Le dessin des chiffres témoigne d’une certaine ancienneté…et du soin que l’on prenait à faire les choses « bien », en ce temps-là, même celles qui paraissaient accessoires.

Ce fameux bleu de Prusse a été accidentellement inventé en 1706, il a fait l’objet de diverses convoitises artistiques et industrielles…il a toute une histoire !!!
Pour les curieuses et curieux :  Bleu de Prusse — Wikipédia (wikipedia.org)

 

Plus « ordinaires » seront quelques outils encore présents, ceux des champignonnistes seulement, tels que pelle et fourche, là encore parmi des morceaux de bois porteurs de moisissures en grande quantité, blanches, brunes, ou les jaunes, comme dans la précédente visite.

Nous arrivons près d’un second tunnel, de réalisation relativement moderne, très court, qui semble partir de nulle part pour arriver nulle part…il nous servira de point de pause grignotage !!! A quoi et qui pouvait-il bien servir ???

Dans les environs traînent aussi  quelques bidons à « blanc de champignon », une préparation liquide de mycélium qui servait à ensemencer les poches de terreau.
Nous constatons qu’il n’y a que de très rares inscriptions farfelues, insultantes ou obscènes, ce qui nous surprend agréablement étant donné la proximité urbaine de banlieue parisienne !


Sur notre itinéraire, nous aurons rencontré déjà trois puits, dont deux sont des modèles à étage décalé car ils étaient dotés de ventilateurs, et la terrasse décalée servait à leur entretien régulier. De plus cela évitait que des branches ou pierres viennent chuter sur les pales de ces aérateurs électriques…ou sur les hommes qui passeraient en-dessous à ce moment-là.

Cette disposition venait en sus des grilles grillagées qui coiffaient les puits.
Là aussi, on constate qu’assez peu de déchets auront été jetés là, contrairement à ce qui s’observe au grand fontis du début.
Nous passons ensuite près de vieilles carrioles, et des zones d’ex-décharges de ferrailles et bois en tous genres lorsque d’autres entrées ou puits étaient encore ouverts.


Un Vélib jeté par le fontis se trouve aussi là…inévitable par la brillance de ses catadioptres sous les faisceaux de nos lampes.
On trouvera bien d’autres objets témoins des usages actuels, dont plusieurs panneaux de signalisation routière !
Enfin, la grande surprise finale sera une carcasse de camionnette Bedford, encore sur ses quatre pneus gonflés…tout à fait inattendue !  Sa plaque de carrosserie détermine l’année…1939 !

 

Nous en sommes à la 74 ème balise…qui jouxte la 4 ème, permettant de fermer la boucle.
Bien évidemment, nous n’aurons parcouru que la  périphérie ou presque…nous ne saurons pas ce que recèle le centre car la montre nous indique 17 heures passées…le couvre-feu nous oblige à partir.

Nous ne manquerons pas de regarder les petits lits continus et tordus de gypse pied d’alouette qui scintillent dans les parois…on trouvera même des blocs de gypse fer-de-lance, mais incomplets, brisés, les macles bien connues étant évidemment recueillies par les autres visiteurs réguliers de ces lieux.

La rareté venant d’ailleurs de ce que la couche la plus génératrice de ces grandes macles se trouve au-dessus du ciel de carrière et n’est donc libérée qu’à la faveur des cloches d’effondrement…gare à qui s’amuse à piocher pour les détacher du ciel !

Le chemin de retour à l’air libre est vite repéré, mais il restera encore l’épreuve du toboggan de sortie à prendre en remontant, ce qui n’est pas si simple car glissant…puis le passage étroit final…encore quelques efforts et contorsions pour s’extraire du fontis, remonter la pente ronceuse, et rejoindre la voiture à 500 mètres de là…

Voilà qu’en 4 heures de visite seulement nous aurons vu pas mal de choses qui, elles-mêmes, nous aurons raconté pas mal d’histoires ! En plus d’une petite promenade sportive bienvenue en ces temps où tant de choses sont interdites sans distinction des personnes ni différenciation des situations.
La satisfaction de participantes s’exprimera en quelques lignes au retour : 

« La sortie était très sympathique….Nous avons vu deux carrières très jolies et très grandes à certains moments.
Nous avons fait un peu d’escalade… c’était super mais… très glissant !
Nous sommes allés visiter des carrières de gypse pour faire de petites explorations, équipés de casques et de lampes frontales. Étant sous terre nous avons réussi à échapper au mauvais temps dehors.
On en a appris beaucoup sur le travail des carriers gypsiers, et nous avons croisé des musiciens.
Nous avons vu des moisissures étonnantes mais malheureusement pas de chauves-souris.
Nous avons même réussi à retrouver notre chemin en autonomie dans ce dédale grâce aux indications laissées sur les murs !
C’était bien, j’ai passé une bonne après-midi… J’ai bien aimé chercher les nombres sur les roches ! »
 

Malia, le monstre des cavernes…

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