Opération « Germinal » (1) 380

Opération « Germinal » (1) 380

9 février 2021 Spéléologie 0

Opération « Germinal »  (1)   380

Il y avait quelque temps que le groupe CARAC ne nous avait pas communiqué le récit d’une de leurs expéditions, notamment pour cause de limitations diverses liées à la Covid-19.
Il s’agit cette fois de quelque chose qui a une allure de feuilleton car nous n’avons reçu que l’épisode N°1…ce qui en promet d’autres !

Comme souvent, le groupe CARAC se lance dans des expéditions probables au dénouement improbable, et cette fois nous sommes en face d’une recherche du temps à la fois passé et perdu dans laquelle même Proust y aurait mouillé son « Marcel »… !
Le récit laisse à penser que l’affaire n’est pas gagnée d’avance, ce qui magnifie le mérite des protagonistes !

 » Nous formons ce jour un trio d’enfer, que la femme d’un d’entre nous conduit sans faiblir vers le point Zéro (00), un vulgaire bord de départementale, où nous prenons pied avec notre barda…
Sitôt la conductrice dument remerciée et le véhicule parti, il s’agit de s’enfoncer dans les taillis en jouant à cache-cache avec les phares des automobilistes à deux doigts d’être verbalisés pour violation du couvre-feu !
On doit jouer avec les branchages, les ronces et divers objets d’origine anthropique pour parvenir à une corniche terreuse fort traître, que seuls des chèvres sauvageonnes, chevreuils et quelques lapins s’amusent à franchir allègrement…

Nous trouvons une échancrure que quelques coups de bêche bien placés transforment en un escalier acceptable, et commence alors la descente d’une pente raide dont une partie s’achève sur un précipice en verticale pure d’au moins dix mètres…il s’agit de ne pas se rater !
La forte pluviosité a gorgé d’eau une glaise déjà naturellement molle, et chaque pas voit nos bottes s’enfoncer de  dix à vingt centimètres ou chasser vers le vide. Il fait sombre, c’est ce qu’on cherchait…
La luminosité ambiante suffit cependant encore largement à se déplacer sans trop de risques, mais le sol n’est pas toujours fiable, il faut rester vigilant, et, de plus, surveiller l’amont en permanence car cette zone est génératrice de glissements de terrain et de coulées de boue dans lesquelles il ne ferait pas bon être pris.


Mais déjà on atteint les petits bosquets un peu plus rassurants, ceux dans lesquels on doit effectuer le virage à 160°.
La suite est un véritable champ de boue, totalement dépourvu de toute végétation et de toute partie rocheuse ou rocailleuse, les glissades sont aussi nombreuses qu’inévitables, et nos gros sacs à dos mal équilibrés n’arrangent rien…
Mais, bon an mal an, nous finissons par atteindre une falaise et, plus loin, l’arcade recherchée, celle qui nous donnera accès au site souterrain. C’est le « Point 01 »
Dès les premiers pas, une sensation d’être « bien chez soi » nous prend, on se familiarise vite avec ces lieux abandonnés, comme s’ils nous accueillaient de bon cœur, comme contents de voir du monde !
Nous allons peu à peu passer de l’ombre à la pénombre, puis à l’obscurité, les lampes sont mises en marche.
Nous balayons l’espace, de son sol brun crevassé ou fangeux au toit crémeux que quelques chauves-souris habitent peut-être au vu de traces de guano par-ci par-là.

Notre monde vient de changer, c’est le grand noir et le grand silence, le grand vide aussi hormis la roche, pleine, fissurée, en blocs ou en grains voire en poudre, très blanche ou très brune, mate ou scintillante, partout froide et muette si on n’essaie pas de lui donner parole, car sur des millions d’années elle doit bien avoir des choses à raconter, au moins à nos yeux.
Car les yeux, tout comme les murs,  peuvent avoir des oreilles…

Lire la roche, suppose un alphabet, une grammaire, il faut entrer dans la pétrographie, la stratigraphie, la tectonique, la géodynamique, la minéralogie…beaucoup de choses à savoir pour commencer à bien lire et à bien comprendre.
Pour aujourd’hui, notre temps n’est pas à cette étude générale, mais à celle de la grotte qui s’est creusée ici. Son étude, donc sa conquête…
La grotte ou plutôt les grottes, un réseau de grottes, très compliqué, qui s’est développé à la faveur d’un complexe de diaclases multidirectionnel, avec quelques fractures plus  importantes, grâce au travail de l’eau…une eau essentiellement corrosive puis érosive qui  emprunta les  faiblesses de la roche, ses discontinuités pour se frayer un passage.
Et puis elle a dissous, façonné, sculpté, laissé cristalliser et c’est cela que nous venons chercher…

Nous déplions notre belle échelle d’aluminium au pied de la falaise qui va nous ouvrir la porte de la grande galerie, à quelques mètres au-dessus.
Le passage est bâti d’une roche fragilisée, de gros blocs ne sont plus solidaires, semés de plus petits qui se présentent comme de bonnes prises de mains, mais n’en sont pas du tout…on fait « le ménage », on « purge », pour éviter l’accident de chute ou d’estourbir un copain trop près dessous.
Enfin on passe le seuil, on s’entraide pour nos sacs décidément bien lourds…
Nous y voici…le sol est encombré de gros blocs tombés, fracturés, parfois instables, les volumes importants, plusieurs galeries sont humainement pénétrables.

On se laisse griser par les volumes, dignes d’une vraie belle grande grotte !!!
La première galerie, immédiate, fort bien dessinée, trouve malheureusement sa fin assez rapidement, sur un gros bloc surplombant un vide et qui revient à notre point de départ du bas de l’échelle.
La seconde oblige à quelques contorsions dans un passage scabreux, où les strates sont très déformées et fracturées, quelque peu inquiétantes, et donne accès à un tumulus géant dominant un grand balcon qui, lui aussi, ramène au point de départ avec une verticale d’une dizaine de mètres, les pieds dans un petit lac…
La troisième se rétrécit très vite, et est encombrée de rocs imbriqués, mais présente plusieurs petites circulations anciennes perforant la roche encaissante.

La dernière, la plus vaste, que l’on pourrait considérer comme un collecteur, si diverses branches n’en partaient pas, plutôt comme une galerie principale tout au moins, large de 3 à 4 mètres et haute de plus encore, avec des formes curieuses,  circonvolutionnées et des niveaux colorés diversifiés, nous plaît beaucoup.
Son contact est assez doux, jamais lisse, comme sablonneux.
La base n’est pas vraiment repérable, car de très gros blocs sont tombés nombreux, empilés, on ne peut exactement dire la hauteur totale de ce conduit…6 mètres peut-être ?
Une petite salle expose, justement, cette plus grande hauteur encore visible et amène à ramper dans un passage bas très court ou à désescalader un petit ressaut de 3 mètres sans aucune difficulté…
On se trouve alors comme dans un berceau scintillant, et, comme pour un ciel étoilé, plus on observe et plus on voit de cristaux, de tailles modestes pour la plupart, mais leur densité impressionne !

Deux passages invitent à poursuivre, l’un, formant un laminoir se termine en impasse sur des éboulis de forte taille après quelques mètres, mais, là encore, un peu d’attention offre des bandes cristallines latérales aussi discrètes qu’esthétiques…les quelques mètres à ramper ne se regrettent pas !
L’autre, impliquant un petit pas d’escalade facile sur deux mètres permet d’entrer dans une belle galerie à un niveau supérieur, aisément parcourue jusqu’à un surbaissement.
Si  ses dimensions sont à taille humaine, ses formes et ses dessins la rendent fort agréable à l’œil, elle a des allures de canyon américain en miniature !


Plusieurs départs de galeries secondaires sont ici observables, s’échappant de cette voie principale, ce qui bat en brèche la notion de « collecteur ».
Aucune de ces galeries annexes ne permet le passage d’un être humain, seul le regard peut les suivre sur quelques mètres au mieux car très contournées.
Mais la multitude de petits conduits creusés par l’eau, tant au plafond que sur les côtés, donne un aspect ruiniforme  et très sculpté voire ciselé par endroits.
Nous voici presqu’au terme de notre excursion de ce soir, et devant notre objectif…car ce joli couloir est, hélas, obstrué par une trémie terreuse et caillouteuse, et ses dimensions laissent à penser qu’il y a une belle suite à trouver.
La  trémie donne l’idée d’une salle plus ou moins comblée par un effondrement, et creuser tout droit en longeant une paroi, si possible, devrait nous livrer une continuation.
Nous avons prémédité le coup, outillés, gantés, avec une jolie navette « Demi-bidon » verte pour véhiculer les déblais car pour un tunnel permettant de travailler on sort pas loin de 2/3 de mètre cube de terre foisonnée au mètre de progression…gros volume à prévoir si plusieurs mètres, et peu de place pour évacuer, si ce n’est au moins dix mètres en arrière…
Armés de binettes à racler, martelette, bêche, pelle creuse et truelle, nous voici partis pour une tranche de six heures de travail prévu !
Six heures qui ne seront pas de tout repos !!!


Une amorce de galerie ayant été réalisée la semaine précédente par un binôme  de repérage, le calibrage de 1 m x 0,5 m est à peu près calé, mais il paraît prudent d’installer un premier ensemble de soutènement, bien que le remblai paraisse très cohérent au-dessus des têtes.
C’est là qu’un premier gros sac se vide…planches diverses, vis et visseuse, scie égoïne…de quoi étayer environ  5 à 6 mètres de galerie en échelons, dans des conditions acceptables.
Le chapeau mis en place, les montants sont découpés à la cote permettant de les positionner en force puis verrouillés par des cales vissées…un petit quart d’heure aura suffi !
Et le creusement commence…
L’idée est d’aller à peu près tout droit pour aller sur l’objectif : une suite dégagée… Du moins l’espère-t-on !
L’idéal serait de longer la paroi à main gauche, mais elle semble être incurvée et ne sera pas atteinte ce jour-là, même en déviant un peu vers elle.
Bien que ce remblai soit une terre sèche, effritable assez facilement, la présence de nombreux petits cailloux voire quelques grosses pierres rend l’attaque un peu difficile et fatigante, mais ça progresse !
La martelette crée des tranchées verticales que la bêche, utilisée comme un hachoir, élargit peu à peu, dégageant une tranche de 3 à 4 centimètres de profondeur environ…il faut 25 à 30 « passes » pour gagner un mètre !
La racleuse permet d’ébouler les petites masses restant accrochées et la bêche règle le périmètre en arasant, de sorte à conserver le gabarit du tunnel.

Au sol s’accumule un amas de terres meubles mêlées, de petite mottes, cailloutis et quelques gros cailloux.
Des monticules de ce mélange sont formés et rythmiquement tirés à coups de binette racleuse, puis repoussés avec les pieds pour être pris en charge par un « distributeur » remplissant les navettes de 12 litres soit environ 20 kilogrammes qu’il n’y a plus qu’à tirer…
Fort heureusement, la glissière façonnée avec les premiers déblais, entre deux talus qui servent de  guides, admet une petite pente régulière facilitatrice pour aboutir à une zone horizontale.

Très solide, le polyéthylène de ce bidon coupé en deux est aussi lisse et glissant, ce qui est apprécié par l’évacuateur posté en bas !
Il n’a plus qu’à déverser puis à repousser les tas vers les vides pouvant accueillir les volumes à rejeter.

Mieux encore, certaines excavations latérales absorbent des trop-pleins, et des murets de rétention élevés au fur et à mesure permettent d’optimiser leur capacité, réduisant ainsi les charges à tirer de plus en plus loin.
On a aussi la chance que suffisamment de place vide permettra d’éliminer jusqu’à 10 mètres de déblais de tunnel (environ 5 m3 compacts soit 6 à 7  m3 foisonnés, mais aussi 10 tonnes…) sans avoir à hâler plus de 15 mètres de corde à nœuds.
Le système se met en place rapidement, chacun trouvant ses marques et sa position de travail, et on avance…le changement de rôles étant à peu près calé sur une heure.
Tout ce travail en milieu confiné, mais pas pour raisons sanitaires, échauffe les corps ainsi que  l’atmosphère, et la tenue tee-shirt devient vite la règle !

Les gants évitent quelques mauvaises surprises, les déblais n’étant pas exempts d’éclats de verre ou de porcelaines et céramiques, voire de petits bouts de métal ou d’éclats de silex.

 

Durant la troisième heure, l’évacuateur va gérer les déblais différemment, en effectuant des terrasses quasi-horizontales de 2,5 m de longueur chacune, dans les espaces ayant le plus grand dégagement plafonnier (ce qui reste relatif !) ceci en vue d’un bivouac pas trop inconfortable.

Cette préparation nécessaire à une nuitée la moins mauvaise possible(…) impliquera l’élimination de gros blocs proéminents d’un côté et le comblement de grands creux de l’autre, c’est le principe du nivellement, du terrassement !
Parti sur cette bonne lancée, ce seront finalement cinq terrasses à dormir qui naîtront ainsi dont une plus large à fonction de salle à manger avec sièges intégrés en roche massive ! Quel luxe !
Il ne manquera que les bougies …

C’est que l’heure du repas est bien là…environ 21 heures, et on a bien soif !
Une petite demi-heure de repos et de bavardage qui fait du bien !
Pour la reprise, une séquence de trois heures est envisagée, et sera bien vécue avec un épisode à rythme d’évacuation plus soutenu.

Vers minuit et demi, la cloche sonne pour une mise au lit aux environs de 1 heure du matin, avec bâche, autogonflant et duvet moyen, oreiller-blouson en prime…


Sauf pour un obsédé de la sécurité, qui ira encore bosser une bonne demi-heure à poser un soutènement supplémentaire et fignoler le raclage de galerie…elle en est à 4,5 m environ…
Si le sommeil fut court, il fut bien tranquille, accompagné par celui d’un Murin suspendu dans une gorge de dissolution au plafond, et les téléphones bien réglés nous réveillèrent vers 6 heures !

Les 10 ou 11 degrés de la galerie naturelle, hors de tout courant d’air et de toute humidité, sont appréciables ! On est quand même en hiver …
Le bivouac est levé en à peine 20 minutes, il ne nous reste qu’à repartir, simple formalité, et tout se passe très bien. Il ne fait pas encore jour dehors, ce qui est voulu, mais la luminosité générale est suffisante pour évoluer à pied en toute sécurité sur un terrain dégagé, encore plus glissant et meuble que la veille car la nuit a dû être bien arrosée…mais pas nous !


La grande pente glaiseuse est remontée avec quelques pertes d’énergie dans des poussées de pied qui finissent  dans le mou ! Nous éviterons soigneusement la partie surplombant l’à-pic, car on n’est pas à l’abri d’un éventuel décrochement du terrain superficiel qui pourrait nous y conduire tout droit !
On retrouve les arbrisseaux bienvenus de fin de côte qui aident à la grimper mais aussi sécurisent les derniers décamètres…
Ultime regard sur ce site étonnant et sa vallée urbanisée tout en lumières.

Vient alors la corniche « aménagée » devenue bien plus facile à franchir que dans son état initial et nous retrouvons le taillis cependant que l’aurore commence à poindre.
Y circuler sans éclairage est un peu un jeu, il faut tâter du pied et se prémunir des branchettes basses dans le visage, peu repérables car fines et démunies de feuillage.
Personne ne perdra au jeu, pas d’écorchure…ni cheville tordue !

 

Un bon quart d’heure de marche sur terrain dégagé , et nous découvrons notre « taxi » amical dont le chauffeur s’est levé dès 6 heures, lui aussi, exprès pour venir nous récupérer… ponctuellement promu « agent  auxiliaire de CARAC » !
Il ne reste qu’à charger le véhicule avec une grande attention pour le salir le moins possible !
On aura encore eu beaucoup de chance : aucune pluie !
Elle ne tombera qu’après que chacun(e) de nous soit à l’abri chez lui ou dans le train.


Mués en mineurs de fond (ce n’est qu’une image) pour quelques heures, nous avons  désobstrué une demi-trémie…en formant une équipe sympathique et efficace, avec un petit bivouac sauvage en prime !!!
Ca colle de bons souvenirs dans nos mémoires, à raviver plus tard, autour d’un petit repas amical…mais avant, il va falloir continuer, tant qu’il existe une probabilité suffisamment grande de trouver « la suite » ! « 

 

 

 

Car on l’espère bien, cette suite…!!!

Un Trio CARAC, en 2020.

 

On a mis au jour la chambre à coucher unique au monde pour le roi de la truelle !
Datée de -20 à -30 millions d’années…
La reconstitution du sarcophage historique date de l’anthropocène supérieur.

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