Régime juridique des grottes 258

Régime juridique des grottes 258

16 décembre 2019 carrières diverses Grottes Spéléologie 0

Le régime juridique des grottes     258

Texte intégralement reproduit tel que trouvé dur Internet.
Merci à G. D. Marillia

Le régime juridique des grottes

in : « La vie communale », n°899, octobre 2003

Depuis plusieurs décennies, les grottes ont cessé d’être ce qu’elles avaient été depuis que nos lointains ancêtres les avaient quittées pour de meilleurs habitats, à savoir un refuge pour les animaux d’élevage. La civilisation moderne a fait d’elles des lieux souvent consacrés à des activités nouvelles, de sport pour les spéléologues, et d’études pour les chercheurs spécialisés dans la préhistoire.
Il en est résulté, mais comment aurait-il pu en être autrement dans notre société de plus en plus «juridicialisée» selon l’expression désormais consacrée, des oppositions d’intérêts souvent divergents entre les propriétaires, ou ceux qui se croient tels, et les utilisateurs, et donc de difficultés contentieuses. Souvent, en effet, l’intérêt public et le droit de propriété privée, ou même publique, se trouvent en opposition manifeste.
Pour beaucoup, la législation reste sinon imprécise du moins mal adaptée, et la jurisprudence, tant judiciaire qu’administrative, ne donne que de biens rares exemples utiles d’intervention du juge. Aussi nous a-t-il paru opportun de donner, autant que faire se peut, des indications sur les droits des uns et des autres, notamment au regard des collectivités publiques.
Le régime juridique de la grotte sera étudié de deux points de vue successivement, au regard de la propriété privée, puis à celui de la collectivité publique.

A- La grotte et la propriété privée

En proclamant la propriété privée «droit inviolable et sacré», l’article 17 de la déclaration des droits de l’homme de 1789 prévoyait des restrictions possibles à ce droit, qui ne pouvait être limité que par la loi et dans l’intérêt général (la «nécessité publique»). Le régime de la propriété des grottes répond parfaitement à cette double préoccupation.

1 – L’étendue des droits du propriétaire

  1. a) Le principe Le code civil règle la question de façon catégorique, en deux articles. Le premier (art. 551) pose la règle selon laquelle «tout ce qui s’unit et s’incorpore à la chose appartient au propriétaire». Le second (art. 552) fait application de ce principe dans le cas du sous-sol d’une parcelle, en une formule lapidaire dont les rédacteurs du code avaient le secret, hélas souvent perdu, semble t-il : «La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous».

Deux conséquences pratiques, consacrées par les codes, découlent de ce principe : – Le même article du code civil dispose que le propriétaire du dessus peut faire au dessous «toutes les constructions et fouilles qu’il jugera à propos et tirer de ces fouilles tous les produits qu’elles peuvent fournir…». – Le code de l’urbanisme (art. L 112-1) édicté que le droit de construire, qui ne peut s’exercer sans des excavations dans le sol, «est attaché à la propriété du sol».
La jurisprudence judiciaire, gardienne traditionnelle de la propriété privée, a précisé cependant qu’il ne s’agit que d’une présomption de propriété en faveur de celui qui possède le «dessus». Ce qui revient à dire que la preuve contraire est possible (C. Cass. Civ., 18 décembre 1967), à charge pour celui qui s’affirme propriétaire du dessous d’une parcelle possédée par un autre propriétaire d’en apporter la.preuve. Celle-ci peut résulter : – soit d’un titre, produit en original (C. Cass., civ., 29 mars 1965, le «certificat de conformité» délivré par le maire étant dans cette affaire jugé insuffisant) ; – soit de la prescription (C. Cass., civ., 12 juillet 2000).

  1. b) Les applications On peut donc séparer la propriété du dessus et celle du dessous : tel sera le cas d’une cave aménagée sous deux immeubles contigus (C. Cass., civ., 26 mai 1992) ou encore une terrasse installée sur le toit d’une remise appartenant à un autre propriétaire (C. Cass.,civ., 7 octobre 1998).
    En application de cette règle, – le propriétaire exproprié peut demander une indemnisation, non seulement pour le dessus mais aussi pour le dessous (C. Cass., civ., 10 juillet 1969), si du moins il prouve que la présence du sous-sol donnait à sa parcelle une plus-value particulière (C.A. Nîmes, 19 janvier 1998. pour les cavités souterraines dites «Grotte Chauvet») ; – le propriétaire, pour le même motif, peut vendre le dessous en se réservant le dessus (C.A. Paris, 25 septembre 1997) ; – une grotte peut faire l’objet d’une location (C. Cass., 29 mai 1996, n° 94-15650, pour une location de toutes «les grottes connues et inconnues» existant sur le territoire d’une commune) ; – le sous-sol peut être l’objet d’une prescription acquisitive, si du moins les conditions de possession paisible, publique, continue et à titre de propriétaire sont réunies (C. Cass., 3 février 1998, n° 95-21232).

Cette jurisprudence est intervenue le plus souvent en cas de conflits entre propriétaires voisins, parfois pour des problèmes de fondations empiétant chez le voisin, ou de conflit surgi au sujet de la propriété de l’eau se trouvant dans le sous-sol. Mais elle trouve à s’appliquer complètement pour des grottes.
La commune pourra donc être concernée par une contestation de propriété, soit par un tiers qui revendique une grotte située sous une parcelle communale ou sectionale, soit si elle-même agit en se prétendant propriétaire d’une grotte située sous une parcelle appartenant à un tiers (ex : C. Cass., 29 mars 1965 précité, une commune ayant obtenu des avantages d’une société en échange de «l’abandon total et définitif de toute espèce de revendication sur une grotte»).

2 – La limitation des droits du propriétaire

Toute propriété comporte des limites, et celle du dessous tout autant, sinon plus, que celle du dessus, et qui concernent particulièrement le cas des grottes. Ces limitations sont d’ailleurs annoncées par l’article 552 précité qui prévoit que la propriété du sous-sol s’exerce dans le cadre des «lois et règlements relatifs aux mines et des lois et règlements de police». Ces limitations, pour le sol, résulteront d’abord de l’éloignement physique : pour le sous-sol, il s’agira des couches terrestres profondes. Pour le cas particulier des grottes, ces limitations résulteront, outre le problème des mines prévu par le code lui-même, et reprises par le «code minier» : – des plans d’occupation des sols, qui peuvent interdire tel ou tel aménagement à tel ou tel emplacement ; – de la législation sur les vestiges historiques qui trouve à s’appliquer en toute circonstance, et donc dans le cas des grottes ; – de la législation sur les sites archéologiques révélés par des fouilles ou des découvertes fortuites, qui fait de l’État le bénéficiaire d’un «privilège d’attribution» (loi du 17 janvier 2001 et décret du 16 janvier 2002), exercé par un arrêté du préfet de région qui, le cas échéant, l’affecte au domaine public de l’Etat et permet à ses services d’accéder au site moyennant une indemnité versée au propriétaire pour compenser le dommage éventuellement subi ; – des procédures d’expropriation mises en œuvre pour une grotte présentant un intérêt archéologique ou historique (par exemple pour la «grotte Chauvet»), dès lors que l’intérêt public le justifie et selon les procédures légales.

Le juge administratif contrôle naturellement le fait de savoir si un immeuble, donc une grotte, présente un intérêt d’histoire ou d’art suffisant pour justifier son expropriation ou son inscription à l’inventaire des monuments historiques, étant précisé que le fait que le classement présenterait des inconvénients excessifs pour le propriétaire ou compromettrait des intérêts économiques est sans influence sur la légalité de la décision (CE, 26 mai 1995, ministre de la Culture, n° 163339, pour la grotte du Calel présentant des vestiges d’exploitation minière du minerai de fer).

B) La grotte et la collectivité publique

1 – La collectivité publique, en tant que propriétaire de la grotte

 

En sa qualité de propriétaire éventuel de terrains, la commune et les autres collectivités publiques sont susceptibles d’être propriétaires des grottes situées, le cas échéant, dans le sous-sol des parcelles dont elles sont propriétaires. Deux difficultés sont cependant alors susceptibles d’apparaître :

 

Détermination de la collectivité propriétaire de la grotte Pour une parcelle communale, ce sera bien entendu la commune. Une grotte peut donc très bien être propriété communale ; mais si la parcelle appartient à une section de commune, la grotte sera sectionale et donc gérée comme telle, conformément aux prescriptions du CGCT (art. L 411-1 et s.). De même, un établissement public pourra en être propriétaire : syndicat de communes ou communauté de communes, si cette dernière a bénéficié du transfert de la propriété de telle ou telle parcelle.

Nature du droit de propriété En règle très générale, la grotte relèvera naturellement du domaine privé de la collectivité, dès lors qu’elle ne pourra pas être considérée comme affectée à un service public, ni ne possédera un aménagement spécial permettant de la considérer comme relevant de son domaine public. Relevant de son domaine privé, les pouvoirs du conseil municipal sont donc beaucoup plus importants ; ils permettent d’en subordonner l’accès à des autorisations préalables ; mais en contrepartie, la grotte ne bénéficie pas de la protection réservée au domaine public seul, notamment contre la prescription acquisitive par un tiers.

L’appartenance au domaine public ne pourrait apparaître que dans des cas bien particuliers : si la grotte a reçu un aménagement spécial en vue de l’affecter à l’usage du public ou à un service public (manifestations culturelles par exemples) ; ou si le préfet de région a exercé à l’encontre de la collectivité concernée le «privilège d’attribution» de l’État et l’a affectée au domaine public de ce dernier (voir ci-dessus 1,2).

2 – La collectivité publique, en tant que responsable d’éventuels accidents

Deux hypothèses de responsabilité sont susceptibles d’apparaître.

  1. a) La première hypothèse concerne toute collectivité publique en sa qualité de propriétaire II s’agit alors d’une responsabilité civile de droit commun fondée sur le code civil (art. 1384), du fait de la détention de la chose constituée par la grotte, la collectivité n’étant tenue à aucune obligation d’entretien puisque la grotte relève de son domaine privé.

Elle n’aura cependant à répondre qu’à une obligation de prudence, mais pourra se libérer de sa responsabilité en établissant la faute de la victime, et mettre en cause la responsabilité de l’exploitant de la grotte, qui pourra être recherchée du fait de l’obligation «de sécurité de moyens» reposant sur lui (C. Cass., civ., 17 juin 1997, pour un visiteur ayant fait une chute en visitant les grottes de Jonas dans le Puy-deDôme) ; de même pourra être recherchée la responsabilité de l’organisateur de spectacles dans la grotte, qui sera tenu à une «obligation de sécurité à l’égard des participants, dès lors que les lieux choisis présentent un caractère spécifiquement dangereux» (C. Cass., civ., 9 octobre 1979, n° 78-13073, pour une danseuse heurtant de la tête le plafond de la grotte où avait lieu un spectacle de ballets).

  1. b) La deuxième hypothèse concerne plus spécifiquement la commune, du fait des pouvoirs de police dévolus au maire En effet, ce dernier a non seulement le pouvoir, mais le devoir, d’intervenir pour assurer la sécurité et prévenir les accidents pouvant survenir sur tous les lieux situés sur sa commune dès lors qu’ils sont ouverts au public (CGCT. art. L 2212-2), alors et surtout, comme tel pourrait être le cas, si la grotte est la propriété de la commune qui en est donc doublement responsable.

Comme tout pouvoir de police, celui qui est dévolu au maire a pour effet et même pour objet de limiter les libertés publiques, comme celle d’aller et venir. Tout le problème pour lui, sera de ne pas supprimer totalement cette liberté, et même de ne la réduire que dans les limites de ce qui est strictement nécessaire pour assurer la sécurité ; aussi n’agit-il que sous le contrôle du préfet et, en cas de recours contentieux, du tribunal administratif dont les pouvoirs d’appréciation de la légalité des actes du maire sont, en ce domaine, particulièrement étendus. Mais ceci est un problème général qui se pose dans tous les domaines d’exercice des pouvoirs de police, et dont nous avons maintes fois traité dans ces colonnes.

 

G.D. MARILLIA

 

Conseiller d’État honoraire

 

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