Voici, voici la grotte… 301

Voici, voici la grotte… 301

18 mai 2020 Grottes Spéléologie 0

Voici, voici la grotte… 301

Voici, voici la grille…et derrière elle, l’inconnu, l’inconnu de l’obscurité, l’inconnu du froid, l’inconnu de la roche et de l’eau qui suinte sur elle.
Le vert vif des mousses et des jeunes folioles du lierre cède peu à peu la place à celui, grisâtre des lichens et de maigres capillaires, j’avance, vers l’inconnu…
Les distances s’estompent, les contrastes s’atténuent, les sons de la vie extérieure s’étouffent, ma peu sent la fraîcheur, mon pas cherche ses appuis, j’entre dans l’inconnu…
Une pente glissante semble vouloir m’emporter, peut-être vers un gouffre, peut-être vers un animal féroce tapi dans ce qui n’est encore qu’une ombre épaisse, je force mon regard, l’inconnu m’a pris par le bras, par l’esprit, sans surprise mais avec sa force irrésistible, il m’attire, m’emporte , m’emmène, et je marche, à ses côtés désormais, ami ou ennemi, je ne sais, pas plus que je ne sais où je vais vraiment ni vers quoi ni vers qui…mais j’y vais.

Voici, voici le lac d’entrée…ce jour-là d’une eau transparente qui n’a de couleurs que celles que j’y projette, une eau que nul n’a foulée depuis quelque temps où se reflètent autant mon âme que les stalactites ancestrales du plafond…cette âme forgée d’anticonformisme et d’anti-confort qui me pousse à passer au-delà du miroir, à entrer dans des mythes inconsciemment ressassés, à fuir la banale médiocrité des routines et des conventions éculées, à m’offrir des bouts de voyages initiatiques sans autre but véritable que de découvrir un but .
Le lac scintille, animé des seules ondes complexes que les chutes des gouttes asynchrones font et défont, les images dansent et se déforment, les référentiels fixes semblent s’envoler, on entre dans l’aléatoire, dans le surprenant, dans le perturbant, dans le déstabilisant…le quotidien n’est plus.

Voici, voici ce couloir aux parois lisses et contournées qui s’enfonce dans la roche, comme une bouche qui m’aspire, la pente s’accentue, le sol luisant forme comme un tapis qui se déroule, où va-t-il ? D’inombrables reliefs de toutes formes et toutes dimensions se dessinent tour à tour, à chaque nouvelle foulée que je fais vers la nuit tellurique, qui m’enrobe, m’entoure désormais totalement, la dernière lueur de mon monde a finalement disparu, je le laisse, l’abandonne, pour cet univers statique qui témoigne pourtant des puissances extrêmes de l’eau et de ses solutés et d’un dynamisme disparu du passé lointain qu’un futur tout aussi lointain pourrait bien recréer.

Voici, voici ces concrétions étranges, chacune  unique, à nulle autre exactement semblable, qui marquent, zèbrent, segmentent, ponctuent, alignent, relient, soulignent, relèvent ou dissimulent l’architecture et les structures de la galerie qui serpente, descend, descend et descend encore….
Telle stalactite darde son épée effilée vers un agile dragon qui l’évite, telle autre vient effleurer de son ongle de pierre une stalagmite bonhomme qui s’élève à sa rencontre depuis des siècles et rêve peut-être de s’unir à elle en une élégante colonnette, tandis que d’étonnantes draperies veinées d’ambre et de miel exhibent leur festons et leur denticules dans les méandres de leurs crêtes blanchâtres.

Voici, voici ce puits effrayant, dont la gueule béante offre un voyage au cœur des âges reculés, perforant des strates de calcaires multi-séculaires, et qu’il faut descendre pour remonter le temps. Quelques millions d’années qui défilent, au gré de cristaux dérisoires et de fossiles muets qui parlent pourtant de leur époque à qui les connaît, et cette roche à qui l’on confie des vies en y insérant de toutes petites chevilles d’un acier moderne…
Et là, sur ces immenses parois qui s’enfoncent dans les ténèbres que les lampes ne peuvent guère fouiller, se rencontrent des corolles de cristaux moirés, des frondaisons  aux tons d’albâtre, des orgues ciselés par les mystères de la chimie minérale, des sculptures d’artistes sans nom, sans corps, dont les créations feraient pâlir de jalousie bien de nos contemporains en mal d’inspiration…

Voici, voici la suite, la suite…vers laquelle je vais encore et encore…que sont les mobiles, que sont les risques, que sont les périls, pour que je désire ainsi la suite ?
Sans doute la curiosité, le goût des contrastes voire des contraires , l’engagement physique et mental dans l’aventure, la recherche d’un  esthétisme naturel rare, un rapprochement vers l’être primaire qui sommeille dans les gènes, l’éloignement salvateur d’une civilisation étouffante, la découverte (« invention ») de nouvelles cavités ou partie d’elles, comme un enfantement, la déconnexion temporelle relative, la distorsion des référentiels spatiaux modifiant les sensations, les inspirations fantasmagoriques, l’abandon du monde ordinaire pour y renaître mieux et l’accepter plus entièrement… ?

Ou encore, possiblement, acquérir et développer une certaine maîtrise de soi-même, acquérir et maîtriser des techniques, entretenir ou développer des capacités physiques, adopter et apprivoiser la nature minérale, le dépaysement dans un voyage souterrain, un pays exceptionnel, un  septième continent dirait-on, partager l’esprit d’équipe, l’exposition au risque mesuré, la mise en œuvre des connaissances techniques et scientifiques, la reconnaissance des autres par une affirmation de soi et l’acquisition d’une assurance personnelle renforcée… ?
L’entrée de la grotte est celle de l’entrée dans le psychisme.
Elle est le lieu des pourquoi… ?

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