50 heures solo au royaume des carriers 748
50 heures au royaume des carriers 748
Partis à 17 heures, nous roulons de concert et parvenons à un village où un véhicule pourra être correctement garé.
Chargés de deux bons gros sacs à dos bien pleins et bien lourds, nous entamons la partie pédestre de l’opération en cours, qui s’annonce plutôt bien, lorsque des gouttes d’une pluie pas du tout prévue font leur apparition.
Bon… on presse un peu le pas pour gagner le couvert des arbres d’une petite forêt toute proche, mais la pluie grossit, et l’abri du feuillage ne va pas suffire.
Très embarrassante, cette pluie, car le terrain pentu devient de plus en plus glissant, car l’habillement étudié pour le beau temps annoncé est déjà bien trempé en une dizaine de minutes, car la végétation chargée d’eau se courbe en tous sens et rend la progression difficile.
On s’y frotte de plus en plus, ronces et orties aisément esquivables sèches ne le sont plus du tout, et les grandes berces, Reines des prés et Renouées du Japon nous inondent au passage de leurs feuillages ruisselants…
En une demi-heure, nous voici complètement « saucés », des cheveux aux orteils !
Si cet état ne nous émeut guère d’ordinaire, il en va autrement aujourd’hui car rien ne pourra sécher là où nous allons.
Et cela durant 50 heures… en n’ayant qu’un change vestimentaire.
Nous contournons quelques obstacles constitués par des arbres tombés et des buissons de ronces, pour enfin arriver près de notre objectif.
Il s’agit d’aller dresser la topographie d’une carrière souterraine dans laquelle on n’entre que par une étroite voie d’accès, à dénicher dans les bois, et où il va falloir se faufiler avec tout le matériel.
Conformément au plan convenu, un seul d’entre nous, ROMEO Charlie, va devoir se glisser dans l’orifice entre insectes bourdonnants, grosses limaces, escargots et cloportes, le second ayant le rôle très important de protection du site extérieur et de vigie de sauvegarde pour l’acteur souterrain, en plus d’avoir été porteur de 15 kg de matériel.
Charlie élimine tout ce qui peut gêner le passage déjà peu confortable, et descend les sacs l’un après l’autre avec une corde à noeuds avant de s’enfourner dans le vide froid de la cavité et disparaître du monde aérien ensoleillé.
L’entrée est alors soigneusement refermée et camouflée, Charlie est devenu un solitaire emmuré, livré à lui-même, sans aucune possibilité de contact, dans le noir et le silence presqu’absolu, presque car des gouttes d’eau donnent à la nuit le tic-tac des grandes horloges d’autrefois.
Il s’agit de bien s’organiser, d’éviter l’humectation de tout ce qu’on introduit dans cette atmosphère saturée de vapeur d’eau, de limiter au mieux le salissement inutile des affaires, de s’interdire toute perte de matériel car tout a une utilité prévue, et le projet pourrait être compromis pour une simple erreur, un simple oubli.
Economiser au maximum l’éclairage électrique, en installant quelques bougies pour tout épisode statique est un préliminaire auquel Charlie se consacre aussitôt, puis déballe tout des sacs pour effectuer des regroupements fonctionnels.
– Cantine
– Bivouac sans tente
– Topographie
– Odonymisation
– Sécurité
– Photographie
Charlie va enfin pouvoir commencer…
Un premier itinéraire arpenté au triple décamètre et au compas, sur 600 m, comportant une trentaine de visées, et nécessitant de tripler la distance pour manipuler le matériel va servir d’apéritif !
C’est un parcours assez facile, galeries jamais très basses, et peu de boue. Près de 3 heures quand même !
Premier « repas » à base de chips, jambon-cornichons, gruyère et dattes confites, avec un peu de pain de mie et l’affaire est faite. Aux chandelles évidemment !
Cette première séquence donnait sur de belles salles et de belles galeries bordées de hagues soignées.
Pour la veillée, ce sera une séance d’odonymisation, activité assez facile mais très chronophage, qui réclame beaucoup d’attention… Petit plaisir que de baptiser des sites, des curiosités, des rues, avenues, allées, impasses, ruelles…et transformer une carrière apparemment monotone en village expressif !
Couchage vers 2 heures, sur grande bâche, pneumatique et duvet sérieux, le tout sur terrain bien sec et plat, presque trois étoiles !!!
Second jour « attaqué » vers 8 heures, petit déjeuner froid rapide, et seconde séquence topographie/odonymisation, une « Topodo » ! Là encore, parcours assez peu exigeant physiquement mais plusieurs passages fragilisés, plus ou moins menaçants, ne pas y traîner et ne rien y toucher… plus de vingt visées et mesures, sur 500 m pour la topo et le même après déjeuner pour l’odo.
Cette séquence donnait sur une très belle salle, des galeries remarquables, beaucoup de grafittis, jolis puits à eau, piliers intéressants.
Mini-pause avec changement de batteries, et troisième séquence « Topodo », pour une itinéraire majeur, truffé de petits départs de galeries sur 500 m, avec cette fois une cinquantaine de visées…la partie « odo » conservée pour la soirée qui sera plus raisonnable avec coucher vers minuit…après 16 heures d’activité quasi-continue.
Eléments techniques, fossiles, concrétions, cristallisations, graffitis…on ne s’ennuie pas !
Bien évidemment, tous ces déplacements s’accompagnent d’une observation soutenue de tous les éléments figurés, géologiques, minéralogiques, esthétiques, techniques, graphiques, ces derniers très nombreux.
Les prises de vues impliquent souvent quelques contorsions, génuflexions, voire allongement au sol, ce qui ajoute uen certaine dépense physique !
Le troisième jour démarre un peu plus tard car du temps nécessité pour replier le bivouac et tout ranger.
Et c’est parti pour la quatrième séquence avec une odonymisation de complément du parcours de la veille avant un nouveau parcours complet, comme le disent les cavaliers !!!
Ce ne seront que 350 mètres mais peu commodes car souvent caillouteux ce qui rend l’arpentage délicat, la manipulation du ruban de décamètre rendue plus complexe.
Puits, lacs et concrétions, cristallisations et confortements massifs étaient au programme…
Odonymisation finale après le déjeuner, puis déambulatioin de découverte, indispensable avant une prochaine séquence Topodo…mais ce sera pour une autre expédition, car il est déjà 20 h, sortie prévue pour 21 heures, appel de vigie prévu vers 22 h…retour, rangement complet, remplissage des sacs, remontée séquencée, et dégagement du bouchon de camouflage qui sera long et délicat.
Manoeuvre très exigeante d’efforts et de réflexion pour ne pas recevoir le tout sur la tête, et parvenir à se hisser dans l’espace ainsi réduit par les éléments car, tout de même, il s’agit aussi de ne pas chuter, ne pas se blesser lors des manipulations…
Bref, un bon quart d’heure fut nécessaire !
Quelques interventions techniques plus tard, Charlie a terminé l’action…il est 21 heures 15.
Trois bons kilomètres à marcher dans les grandes herbes et autres plantes diverses, avec deux sacs à dos (pour un seul dos !), et l’aventure s’achève.
Un peu de route, retour au foyer, appel de vigie et d’épouse…une belle opération !
Des pertes : une montre et un feutre indélébile
Et puis…plusieurs heures de « travail » pour reporter tous les relevés sur plan !
Plusieurs heures pour examiner, trier, corriger environ 200 photos, archiver celles qui le méritent.
50 heures, entouré de dizaines et dizaines de signatures de carriers, dans leur environnement séculaire, ou tant d’entre eux ont trimé, souffert, brisé leurs corps à la tâche, mais aussi écrire, dessiner parfois, compter leurs blocs…dans cet univers presque exclusivement minéral où Charlie s’est invité … pour le loisir !