Chauveroche…étiage normal ou sécheresse ? 696

Chauveroche…étiage normal ou sécheresse ? 696

18 octobre 2023 Spéléologie 0

Chauveroche…étiage normal ou sécheresse   ?     696

Nous n’étions pas allés visiter Chauveroche depuis… 10 ans ! Que le temps passe vite !
Plusieurs facteurs favorables nous ont amenés à envisager de l’explorer à nouveau, notamment une équipe jugée capable d’atteindre « Porche Carré », c’est à dire un terminus classique pour des équipes moyennes. 4200 mètres de l’entrée.
120 gours à franchir…
Se lancer dans la Galerie Nuffer et ses épuisantes marmites eût été bien trop ambitieux, voire irresponsable…même si c’est bien dommage quant à l’intérêt et la beauté de la visite, sensiblement différents du parcours précédent.

 

 

 

Le quintuor bien prêt, et bien préparé, y compris psychologiquement par une succession d’annonces préventives de la veille, entame le sentier de la grotte, d’un bon pas, mais restant calme, car mieux vaut « chauffer » lentement.
Après la petite route venant d’Ornans, ce sentier, à lui seul, est déjà bien agréable, évoluant dans une forêt riche où abondent les mousses d’un vert appétissant !

 

 

Après 400 m relativement peu pentus, et avoir traversé le ruisseau d’exutoire des pertes de la rivière souterraine, on s’attelle à une pente plus raide sur des éboulis stabilisés et lorsque la plaque mémorielle de Peter Leistner est passée, sous une baume, c’est la montée dans le grand chaos.

 

Amoncellement de blocs parfois énormes, de troncs et branches, colonisé par mousses, lichens et fougères, qu’une grosse échelle scellée aide à franchir dans un passage délicat, il annonce l’entrée maintenant proche de cette grotte renommée.
Dans cette reculée géante par sa hauteur, on ne peut penser à un moment que tous ces blocs, ces morceaux d’arbres, sont bien tombés un jour, à une heure, à une minute, et même en quelques secondes…et pourquoi pas maintenant ?

On y  est  X  47.080    Y   6.122      Z  460 m

Plus ou moins consciemment, un petit regard furtif vers le haut échappe à l’un ou à l’une, et on se tasse plutôt sous l’abri relatif du surplomb rocheux !

 

 

 

Petite pause, allumage des lampes, on s’attend à la première vasque, qui ne laisse généralement passer que la tête sous une courte voûte anguleuse, et encore… Mais là, surprise !
La vasque est à demi-vidée, on passe facilement le torse et les bras en sus de la tête ! On a le droit à deux chauves-souris en vol…et à un bon courant d’air !

Suivent les rails de boue, qui, selon les tempéraments, paraissent pénibles ou amusants…je m’amuse !
Nous avons 1500 m à parcourir dans la Galerie Sèche…

 

 

 

Parvenus au premier surbaissement où stagne normalement une vaste flaque on ne trouve plus aucune eau, même la glaise du fond est solidifiée !
On poursuit donc pour atteindre le Lac de Boue, qui, traditionnellement, se franchit en devant réaliser une très courte apnée pour se faufiler dans un passage restant facile…mais là : plus d’eau non plus !
L’argile y est encore molle, cependant, mais c’est très surprenant.
Au creux du lac de boue tari subsiste donc quand même une zone gluante et profonde, et bien sûr une botte y a tenté une fugue, profitant de l’effet de succion !
Mais l’entraide spéléologique a déjoué ses plans, et la botte scélérate a dû reprendre sa place et ses fonctions. La morphologie de la galerie peut étonner par sa variabilité dimensionnelle, et les grandes coupoles sont assez impressionnantes, agrémentées, pour certaines, de Grands Rhinolophes qui se reposent…

 

 

La partie suivante fut bien moins pénible qu’à l’accoutumée des précédentes décennies, car le sol se révèla beaucoup moins gluant, ne provoquant pas ces multiples glissades incontrôlées usuelles en ces lieux, qui nourrissent les rires des uns et bleuissent (plus tard) les peaux des autres au dur contact imprévu du sol ou des parois…
Le premier grand éboulis se franchit assez facilement, là encore parce que l’ensemble est bien moins humide, et que l’entraide est bien au rendez-vous.
Le second, qui recèle un passage surnommé « casse-gueule » dans lequel on a parfois mis un bout de corde à nœuds, sera plus délicat car les deux premiers à passer ont lubrifié les supports avec l’eau des combinaisons mêlée à la pellicule argileuse.
Mais ça coulissera sans ennui et sans corde.

 

 

Encore les talus à franchir et on débarque sur « La Plage », ou, plus exactement, au « Vestiaire »…
Là où on découvre enfin la rivière qui décrit son coude vers la droite. (Mais à gauche dans le sens de son cours !!!)
Mais là…surprise ! Il n’y a pas de rivière…Il n’y a plus de rivière !!!
Il ne reste qu’un petit « lac » sous la voûte mouillante, plus rien ne coule.
Bigre ! On voit bien là une grave pénurie d’eaux pluviales et même un tarissement des petites nappes phréatiques, les roches aquifères sont à sec !

 

Indépendamment de ce qu’une telle situation peut donner à penser des conséquences à long terme sur la vie extérieure, elle a une conséquence immédiate sur notre vie présente…la rivière ne coule pas !

Il ne va donc persister que les gours, transformés en vastes cuvettes d’eau immobile, et sans doute bien moins remplis.
Nous n’aurons pas les reflets tremblants de nos lampes sur les rides et les vagues, ni le chant des cascatelles dans les émulsions au tombé des murettes de gours, ni les embruns des cascades et leur miroitement aérien, ni les jeux d’éclaboussures des copines et copains qui se débattent furieusement à chaque grimpette de seuils !

 

 

 

Parvenus à la vraie plage, aux abords du premier grand gour, là où on engageait les dinghys, là où on trouvait des « canards » (grosses bouées à base de chambres à air de camion, dans lesquelles on s’assied et qui servent de « bateau »), le constat est inévitable : non seulement il n’y a plus d’eau vive, mais le niveau de l’eau est de  10 à 15 cm plus bas que d’ordinaire.
Si ce dernier élément peut amener à se réjouir (surtout les moins grand(e)s) d’échapper à des immersions ne laissant plus que la tête (voire les yeux !), il va faire qu’en contrepartie les sorties remontantes des gours n’en seront que plus difficiles, et que les petits sauts du retour seront plus risqués.

Mais il n’y a rien à faire d’autre que constater et avancer, et c’est ce que nous faisons, en découvrant cette atmosphère bien particulière à Chauveroche, canyon très haut, peu large, gours tout en longueur, le tout pouvant parfois initier une sorte d’angoisse.
Chacun et chacune est en avant, pour découvrir vraiment, ne pas se contenter de devoir suivre, mais aussi pour bénéficier de l’eau transparente, car dès le premier passage, elle ne l’est plus !
On avance, on tâte les fonds, on s’agrippe aux parois, on monte, on monte…

 

Tout le monde s’encourage et s’entraide, on n’a plus que deux sacs à balader et peu lourds ( 6 kg environ) avec bidon étanche flotteur.
Enfin…bidon étanche si on le ferme bien !

 

L’un des deux ne l’était pas, heureusement soupçonné assez vite pour que le peu d’eau déjà entré n’ait pas eu la possibilité de trop abîmer le contenu.
A ce stade, la vigueur moyenne est encore bonne, même si les techniques de franchissements des gours sont variées et à améliorer, car gourmandes en énergie.
On arrive alors au niveau des pertes  et du changement de versant de courant. Nous avons parcouru environ 2200 m.
La progression est alors assez particulière, dans des faux-gours, ressemblant plutôt à de petits lacs de marmites étirées, où il y a beaucoup de sédiments et dans lesquels il faut aller avec prudence dès que l’eau ne permet plus de voir où sont les accidents rocheux.

 

 

Fréquemment, on s’enfonce brutalement, et il faut en permanence se maintenir d’une main contre les flancs des galeries devenues étroites, à hauteur d’homme.
J’entends vaguement parler de nourriture, quelque part, le petit déjeuner de 7 heures commence à dater !
Malgré les conseils appuyés de « bourrer la chaudière » à coups de calories, tel ou telle n’a pas suffisamment ingurgité de « sucres lents », et l’énergie immédiatement disponible tend à manquer !
On se dynamise car il est vraiment trop tôt pour s’arrêter, on n’est encore qu’à 200 m de la grande cascade (de 4 m)…c’est que cette dernière, en dépit de sa petite taille, n’est pas des plus commodes à franchir quand le débit est soutenu.
Depuis quelque temps, on remonte une eau courante, ce qui, outre un agrément certain pour les yeux, permet aussi de mieux voir où on marche et où on peut passer, en sus d’avoir des bassins bien moins profonds.

 

Enfin voici la cascade, que l’on entend depuis un petit moment, que nous allons facilement franchir vu le faible débit, en serrant à main droite.
Un peu plus loin, une autre cascade moins raide, étagée, rebondie,  sur fond calcité, est un ravissement !

 

 

 

On rencontre de nombreuses formations calcitées, en piliers ou en pendeloques plus ou moins déchiquetées, et les parois se resserrent par moments, donnant une configuration assez différente des lieux, mais il faut toujours se méfier de chausse-trappes possibles sous l’eau turbide !

 

 

Une succession de petits « lacs » et de flaques déversantes crée une série de cascatelles peu pentues fort jolies, et l’effet catadioptrique de l’eau ruisselantes offre des aspects de torrent doré, du plus bel effet sous nos frontales.
Certains passages montrent des aspects pétrologiques très sauvages, des stalagmites déchiquetées par les stillations d’eau corrosives, des lames tranchantes, des godets aux bords amincis, la galerie est clairement très active ici !

 

 

De nombreux blocs sculptés, de la roche encaissante, sont encore en place et offrent des formes plus ou moins étonnantes, suggérant des silhouettes d’animaux étranges selon l’imagination et la façon de les regarder et de les éclairer…j’ai bien aimé « l’Eléphanteau » !
Ou encore des bateaux échoués sur des écueils…
Soudainement, un élargissement de 5 à 6  m sur au moins 20 mètres témoigne de l’activité intense d’une cascade dont les embruns ont lentement corrodé les parois, et le courant agité en violentes turbulences charriant des éclats de roche les a érodées.
Ce lac mouvementé, où le bruit des flots rend difficile la conversation, est trop profond pour y avoir pied (estimé à 3 m) , et la natation est nécessaire pour atteindre le flanc de rive gauche de la cascade, car c’est bien de ce côté qu’elle est franchissable sans agrès grâce à diverses prises de pieds et de mains.

Cette cascade a une morphologie particulière qui amène l’eau à se projeter en hémisphère, et cela a participé au creusement élargi de la salle.
Pour autant, ce flot complique l’affaire, et nous découvrons avec plaisir qu’une petite corde et un étrier sont posés en « fixe »…de sorte à beaucoup faciliter le passage.
Il faudra tout de même un certain temps pour que le quintuor dépasse cet obstacle, très esthétique au demeurant !
la suite ressemble de plus en plus à une sorte de torrent avec des méandres serrés et de mini-chutes d’eau fort agréables, alternant avec des parties paraissant être de longs gours mais qui sont des marmites oblongues, avec des parois plus ou moins vestigiales, qui sont autant de pièges pour les genoux et les tibias, pour qui veut aller trop vite sans visibilité !!!

 

 

 

Peu à peu, on constate que si les parois tendent à se resserrer, la hauteur de la galerie s’amoindrit aussi considérablement, les vasques  se raréfient, et on peut apprécier des corniches presque à hauteur des yeux, celles-là même qui étaient trop haut perchées jusqu’alors pour y voir quoi que ce soit.
La tentation étant trop forte, ce sera finalement sur l’une d’elles, plutôt confortable, que nous allons déjeuner.
Nous ne sommes qu’à 50 mètres de la confluence de la Galerie Nuffer, 200 m de la Galerie des Macaronis et 300m du Porche Carré.
Le repas-pause se déroule agréablement, dans une bonne ambiance d’équipe, partage de l’eau, et avec le soulagement que les repas du bidon mal fermé au départ sont restés consommables.

 

Mais je sens que tel ou telle témoignent à la fois d’une fatigue physique et d’une certaine lassitude morale, et à la question de savoir si on continue un peu ou si on repart tout de suite en arrière, il ne fait aucun doute que le retour est majoritairement souhaité.
Je n’insisterai pas, très conscient de ce que cette cavité représente en termes de fatigue corporelle, de tension nerveuse, de pertes caloriques, de chute morale potentielle, avec tout un cortège de conséquences comportementales et inter-relationnelles, qui, sans forcément amener des situations dramatiques peut rendre délétère le climat humain et venir gâcher tout le bénéfice personnel et collectif de l’entreprise, de l’aventure.

 

Je m’offrirai une petite échappée photographique, mais trop courte pour aller jusqu’aux plus belles choses à voir par là : la galerie des macaronis, et la Méduse notamment. Je me contenterai des premières stalactites…
J’apprécie qu’un  équipier m’ait attendu, et, un peu plus loin, qu’une équipière nous ait attendus à son tour… veiller sur les autres est évidemment fondamental…surtout dans une telle grotte où il est très difficile de se mettre en sécurité et où l’hypothermie surviendrait rapidement, malgré nos enveloppes de néoprène.
Et que nul(le) n’est à l’abri d’une simple chute suivie d’une mauvaise réception et d’une lésion formant un handicap à la motricité.
C’est donc le retour, qui va se dérouler dans de très bonnes conditions, forcément plus facile ici, et toujours sous-tendu par la motivation du retour au bercail…
Là encore, l’entraide sera exemplaire à chaque fois qu’elle s’avèrera utile, qu’il s’agisse de franchir certains obstacles, de porter ou traîner les sacs, de vérifier les éclairages, mais aussi d’encourager, soutenir l’effort, rassurer, le cas échéant.

 

Il y eut, bien sûr, quelques coups de lumière dans les yeux du voisin ou de la voisine…mais jamais sciemment, et toujours corrigés aussi vite que possible !
Nous eûmes, du fait de ce très faible débit hydrique, voire de sa nullité, un petit cadeau très rare.
En effet, peu avant le vestiaire que l’on atteint normalement en devant escalader un éboulis souvent très glissant, donc fort fatigant et agaçant, nous pourrons, exceptionnellement, franchir la voûte mouillante, avec environ  25 cm d’air au plus bas, et suffisamment d’eau pour se mouvoir sans difficulté, ce qui fut une petite expérience intéressante, vécue avec facilité par tout le monde. (Mais le néoprène est ici merveilleux !!!)

Bon…
L’équipe a besoin de souffler un peu, boire, reconditionner les sacs, et on repart pour la galerie sèche…
C’est un retour assez facile, au final, nonobstant le passage des deux grands éboulis où il faut toujours bien se concentrer, et où tout paraît bizarrement plus glissant qu’à l’aller, ce qui est en partie vrai et en partie le produit d’une auto-conviction liée à la fatigue.
Le franchissement des lacs boueux est bien plus aisé et rapide du fait de leur tarissement, et la suite ne fut qu’une formalité !

 

 

De retour au grand air, et après une courte pause, il nous faut encore désescalader le chaos de rochers et de branchages, et toute l’attention va être requise, car il a plu et les rocs sont devenus très glissants…L’affaire se déroula tranquillement, deux petites chutes sans conséquence seront quand même à déplorer avant de parvenir au ruisseau des pertes.
Ce dernier nous fournira deux grandes bassines naturelles à usage de lavoir de spéléologues, car l’état des combinaisons méritait vraiment un grand lavage !

 

 

 

Une dernière courte marche et nous voilà réunis sur le parking…il n’y a plus qu’à se changer, tout ranger…ça prendra presque une heure, juste avant que la pluie se manifeste…comme d’habitude, tout a été très bien organisé, là où nous étions, il n’a pas plu !

Grand bravo à toute l’équipe, car c’était là une grotte formatrice, bien différente de toutes celles qu’elle a connu auparavant !!!

Un mot et un hommage à René Nuffer…
René Nuffer (1917-1992), dessinateur et peintre franc-comtois, élève de Vittini, s’était spécialisé dans la représentation des paysages et des natures mortes. Ses œuvres furent récompensées par de nombreux prix, dont en 1987, la médaille d’or pour « La tarte aux pommes » au Salon des Artistes Français.
Passionné de spéléologie, c’est lors de ses déplacements dans les grottes franc-comtoises que les anciens lui contèrent la légende de la Vouivre de la Loue qu’il illustra en 1972

 

Il était secondé par son ami René Georges… ils ont écrit ensemble un tiré à part de 45 pages…Chauveroche, c’est un peu la grotte des deux René !

Enfin, pour revenir au titre de l’article, sommes-nous en présence d’un épisode d’étiage marqué ou face à un phénomène de sécheresse beaucoup plus profond et durable ?
Le tarissement de la rivière et l’assèchement total des lacs de la galerie sèche nous donnent à pencher pour la seconde explication, hélas….

 

  L’œil de la Vouivre. René Nuffer
(Illustration de couverture d’un livre éponyme de Edith Montelle, paru en 2007

  Champs de Colza (René Nuffer)

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