Le Gouffre Berger au féminin 569

Le Gouffre Berger au féminin 569

26 juillet 2022 Spéléologie 0

Le Gouffre Berger au féminin      569

Compte tenu du courant d’opinion actuel, d’aucuns diront qu’au féminin, berger devient bergère ! Mais ce serait là bien trop simple…
Le Berger au féminin, en l’occurrence, c’est l’histoire d’un duo de femmes spéléologues qui ont entrepris la visite de ce superbe gouffre isérois, avec la ferme intention de poser les pieds au bas du Puits de l’Ouragan, vers – 1025 mètres, peut-être même un peu plus bas encore !
Elles ont tenté cette expérience au sein d’une équipe de trois, mais le troisième, qui n’était qu’un vieil homme, n’avait pour vocation que celle d’un accompagnant photographe, voire intervenant en cas d’incident.
Car l’affaire est bien celle de ces deux femmes, un petit défi partagé, s’assurer d’être effectivement capables d’une autonomie totale, logistiquement, techniquement, physiquement, psychologiquement.
Bien sûr il y a eu toute une préparation, menée pour partie ensemble, pour partie séparément, aussi bien pour éduquer aux gestuelles que pour gérer l’intendance, mais surtout pour bien souder l’équipe.
Chacune sait bien que seule, à supposer que l’Organisation de l’EFS le permette, ses chances de réussite seraient très faibles, mais qu’à deux, ses chances  sont au contraire très fortes !

Une longue et minutieuse préparation au Col de la Molière (1635 m) ne permet pas que de faire le point précis de tout ce qu’il faudra emporter, ni plus ni moins, mais aussi de discuter et d’affiner le projet dans ses plus menus détails. La réussite dépend en partie de ces préparatifs soignés, d’autant plus qu’il va s’agir d’une formule « bivouac »…
C’est qu’en effet, Mimi et Nanou, puisque nous en sommes aux présentations, n’ont pas l’intention de courir, mais bien au contraire de prendre le temps de progresser bien en sécurité, de respecter les processus techniques préconisés, d’observer, de contempler, de penser, et même de rêver.

De tenir compte de leur physiologie, de leur rythme interne, de ne pas brutaliser leur organisme, de ne pas risquer l’incident « bête », voire l’accident, ni même les douleurs fonctionnelles excessives qui gâtent le plaisir.
Profiter du temps, prendre le temps, ne pas sans cesse le compter, et savoir dès le départ, que l’organisme tiendra le coup dans ces conditions.
Une des options prises concerne le ravitaillement, qui sera fractionné en plusieurs petites prises régulières, et conditionné en sachets dosés, soigneusement protégés dans des mini-conteneurs étanches à base de bouteilles en PET à large goulot…on s’amuse bien !

Le départ matinal offre déjà bien des agréments avec le magnifique panorama sur la chaîne de Belledone, 30 à 40 km à vol d’oiseau…Mimi et Nanou arpentent le Sentier des Génisses, leurs sacs jaunes au dos, et on tourne à droite après la barrière à rouleaux  pour un bon chemin sinueux dans un décor naturel fort agréable, harmonieux et abondamment fleuri.
Peu de bavardage…une sorte d’attente respectueuse de l’aventure souterraine qui va commencer, comme les spectateurs font le silence à l’ouverture du rideau…
Laissant de côté le Puits des Ecritures, on frôle bientôt le Scialet de la Fromagère avant de connecter le GR 9 qu’elles suivent très peu de temps vers le nord…et c’est là qu’il faut tourner à droite, ce que beaucoup de spéléologues ne font pas !

C’est en effet ici que se greffe la Draye des Communaux, un ancien chemin de troupeaux, qu’il faut emprunter en guettant le discret embranchement du sentier du Berger, dans les lapiaz, à environ 400 m…
Nanou et Mimi se laissent d’abord tenter par un faux départ, plus ou moins trompées par la présence d’un gros cairn, presque en face, mais reviennent vite sur la bonne voie et se lancent sur la sente qui serpente dans le lapiaz où nombre de balises pierreuses ne laissent plus aucun doute !
Ce sont encore 400 m dans une belle végétation et le massif calcaire torturé par les eaux, toujours aussi fleuri, et voici le campement des anglais !
L’un attend la sortie de trois compagnons restés en bas pour la nuitée, deux autres tentent de dormir, et il nous faut installer la table le registre et la bâche…sans trop réveiller ce petit monde !
Nanou et Mimi profitent de leurs dernières minutes sous le ciel bleu pour vaquer à de saines occupations avant de s’habiller, se sangler, se casquer…

 

L’arbre qui veille sur la doline est bien là, avec sa petite ceinture de corde bleue sur laquelle Nanou se mousquetonne…elle sera en pointe, car elle connaît la cavité…très à l’aise, on la croirait comme chez elle !
Emilie est dynamisée, et enchaîne, ses appréhensions de ses débuts lui semblent de lointains souvenirs, le puits de la doline passe comme une lettre à La Poste, mais le Ruiz lui demandera quand même un petit temps d’appréciation !
Une remarquable synchronisation va se mettre en place, en jouant sur les cordes avec ou sans fractionnement, avec ou sans déviation, et plus ou moins faciles d’accès en tête, et il en vient une fluidité agréable, une dynamique de progression qui imprime une entente solide, et cela jusqu’aux Méandres.
Dès que l’on arrivera dans les parties de ces profondes sinuosités aux roches suintantes et plus ou moins « savonnées » Nanou jouera volontiers de toutes les parties de son corps susceptibles de créer des oppositions, et avance plutôt rapidement malgré le sac, toujours un peu handicapant.
Mimi est moins rodée à cet exercice, même si elle n’en est pas à ses premiers méandres, et je la sens plus concentrée, plus hésitante, cherchant beaucoup plus les bonnes grosses prises « classiques » de pieds comme de mains, que de mettre en place des blocages de dos, d’épaules, de cuisses, de hanches ou de genoux lorsque les belles prises académiques viennent à manquer.

Pour autant, Mimi et Nanou dominent la question, et en viennent assez vite aux grands puits qui seront abordés avec une aisance rassurante, sans aucun incident ni mauvaise manœuvre…bientôt moins 200…
Même le croisement des trois britanniques se passera comme sur des roulettes, en haut du Puits Gontard, dans un élargissement bienvenu du méandre, où seront échangées quelques paroles bienveillantes, la courtoisie et la priorité aux « remontants » (mais pas les alcoolisés !) étant de rigueur.
La dernière personne de ce groupe, très jeune femme, semblait bien fatiguée…allez la Miss, plus que « one hundred fifty » !!! On lui passe son sac coincé…grand sourire contre pâle sourire…et c’est reparti !
Le Puits Aldo venant juste après les trois petits ressauts va contraster fortement avec ses 42 mètres…pour autant Mimi n’est pas outre mesure impressionnée car son puits de carrière d’entraînement de prédilection a justement cette profondeur…mais il est beaucoup moins beau évidemment !
Mimi, après les ultimes contorsions qui signent la fin des puits, découvre alors la grande galerie de la Rivière sans Étoiles et s’en étonne, s’en impressionne…Nanou l’a déjà vue, mais le passage brutal de la verticalité et des espaces horizontaux de quelques mètres à des volumes immenses en tous sens est ou reste saisissant pour l’une comme pour l’autre !
Pas de chance, la rivière est à sec, pas de pluie depuis longtemps…c’est moins vivant, moins chantant, moins scintillant…mais on se console…on sait qu’on la retrouvera plus tard, la rivière !
Nanou enchaîne, ça l’amuse bien de repérer les petits bouts de chasuble rétro-réfléchissants et de suivre les traces les plus engageantes parmi les divers cheminements hasardeux de maints visiteurs plus ou moins bien inspirés… Jeu de piste dans les ténèbres !
Avec Mimi, elles sont des montagnardes, soit d’origine soit par fréquentation soutenue, été comme hiver, et la Grande Galerie jusqu’aux cascades est un terrain qui leur est familier, hormis le fait des roches souvent glissantes, et c’est ce qui les pousse à la prudence…quand même, ce serait trop bête de faire une mauvaise chute ! On se méfie particulièrement de ces affleurements de marne blanche dure, très glissante, qui sont si tentants pour s’y promener…
Le Lac Cadoux est à l’état vestigial…seule la main courante qui paraît insolite, comme abandonnée sur la paroi, rappelle que, par grandes eaux, il est bien là, ce lac !
De temps à autre, d’énormes stalagmites dressées comme des ogives interrogent quant à leur formation…pourquoi là, pourquoi cette massivité, pourquoi cet aspect « boutonneux », c’est presque bien que de ne pas le savoir, ça conserve le côté mystique du monde minéral !
On arrive aux cascades, et ça nous donne une distraction agréable avant d’attaquer le Grand Eboulis.
Nanou et Mimi s’amusent, et avec l’eau qui danse et gazouille, ces franchissements sont franchement sympathiques, le temps passe et on n’en a pas conscience.
Le Grand Eboulis ne décevra personne avec sa grandeur justement, et en dépit de ses 400 mètres de longueur seulement, qui ne paraîtraient pas grand-chose en conditions extérieures, ce n’est pas un « obstacle » si aisé à franchir…un méchant dérapage pourrait guetter les insouciants !
On aperçoit bientôt les fils d’antenne du TPS Nicola (Transmission Par le Sol) qui signalent la proximité du bivouac – 500 m (Camp 1)…
Cette étape fait plaisir à tout le monde !
Elle va être le lieu et le moment d’une petite pause nourriture, et de l’abandon de masses de matériel, en plus de passer de trois sacs de 5 Kg à deux sacs de 3 à 4 kg chacun…peu difficiles à manier donc.
Ce sera aussi l’instant de la rencontre du second et dernier groupe prévu de cette journée, un français et deux israéliens, qui permettra de mieux connaître les objectifs respectifs et de savoir quelle utilisation du bivouac sera à prévoir ou non…et nous apprenons que nous serons les seuls à en profiter, ce qui nous arrange bien.
Il ne reste en effet que deux abris pour 6 places correctes au maximum, car ce camp a été quelque peu « réduit » au fil des années. Peu utilisé. De plus l’équipe anglaise a momentanément abandonné pas mal de matériel pour alléger au maximum les sacs, les personnes déjà fatiguées en étant ainsi bien soulagées…
On avait su en les croisant, grâce à l’anglophonie professionnelle de Nanou, que ces dépôts seraient récupérés le lendemain. On aurait en effet pu croire à des « oublis » définitifs vu le désordre total dans lequel les objets ont été laissés !
Le classique rafraîchissement des organismes déclenchera la reprise de la promenade, car jusque là on pouvait parler de promenade, et la salle des Treize suivie de la Galerie Supérieure, de celle des Trois et même de la Salle du Saint Mathieu et des Grandes coulées Blanches en seront un prolongement.
Les passages verticaux de la Vire du Vagin et du Balcon, de par leur facilité de franchissement seront vécus comme des interludes !
La grande différence durant ces 500 mètres de progression sera la beauté minérale des lieux, leur incroyable richesse de formes, de dimensions, de colorations, et la quantité phénoménale de spéléothèmes…on ne s’y arrête pas longtemps, car ce sera pour le retour ! En principe…
Nanou et Mimi vont cependant s’en mettre plein les mirettes, leur seul regret étant la vacuité de la presque totalité des grands et petits gours…pas de reflets, pas de miroitements, pas la musique des gouttes qui tombent dans les nappes, pas le jeu de la circulation pédestre en équilibre sur les murets des gours…quel dommage !
Heureusement, les forêts de stalactites dont certaines très originales voire étranges, les champs de stalactites et les collines de coulées calcitiques nous offrent de magnifiques paysages dans lesquels Mimi et Nanou zigzaguent comme les petites fées des contes pour enfants, s’émerveillant comme eux, du sol au ciel, de gauche à droite…et voilà la Vire du vestiaire suivie d’un petit obstacle troublant …
En effet, le Ressaut du vestiaire n’a pas été rééquipé comme tout ce qui a précédé.
Ce ne sont que quelques mètres, et les 5 ou 6 plaquettes nues encore vissées dans la paroi nous laissent un instant pantois…car si ce n’est pas équipé, peut-être que tout ce qui suit ne l’est pas non plus ?
Cependant le trio qui nous précède n’est pas là, c’est donc que ça passe quelque part…
Nanou cherche à gauche, Mimi finit par passer à droite là où coule un bout de rivière et on constate que finalement il existe un franchissement correct au milieu, que l’on ne devinait pas du haut…tout s’arrange donc !
On recroise le trio un peu plus loin et c’est l’entrée des Coufinades…
Nanou sait très bien que c’est une partie un peu plus technique et surtout plus éprouvante musculairement. Mimi en a entendu parler plusieurs fois durant ses entraînements et elle appréhende un petit peu ! Elle sait aussi qu’il existe une pancarte qui met en garde celles et ceux qui ne sont pas vraiment sûr(e)s d’eux, pas très en forme, pas équipés en conséquence, notamment pour les trois passages en tyroliennes auto-régulées.
On laisse repasser devant nous le trio d’hommes, car il est évident qu’il sera bien plus rapide vu la vitesse à laquelle il nous a rattrapés  !
Cela permet d’aborder ce tronçon d’itinéraire en toute quiétude.
On se dote alors d’un élément de progression très important, surtout pour les « petits bras », qui se présente comme une jolie dégaine « Finesse », à rôle de longe très courte, qui va permettre une économie d’énergie considérable et autoriser des postures corporelles bien plus ergonomiques.
Le maniement du sac sera effectué sur main courante, ce qui implique beaucoup de manipulations, mais ce sont alors les cordes qui portent ! Pas les gens, sauf au passage d’amarrages.
C’est d’ailleurs le moment idéal pour saluer l’immense travail accompli par les équipes équipeuses, face à des centaines de perforations pour passer d’un équipement « Spits-Plaquettes» à un mode « Lunules-Dyneema)…les lunules, ici renommées « AFD » pour Amarrages Forés Débouchants, ou encore Abalakovs de roche…
On admire ce travail titanesque…on sait combien de matériel est nécessaire…on est quand même à – 650m et davantage…, combien de temps pour percer tous ces trous et pas n’importe où ni n’importe comment, combien de bouts de Dyneema à coulisser, à nouer et renouer, combien d’hectomètres de corde à installer dans les règles de l’art…fichtre ! Bravo à l’EFS et à ses membres impliqués là-dedans !
Nous avançons…Nanou et Mimi gèrent leur sac avec détermination, et on finit par arriver aux passages plus ou moins verticaux, plus ou moins arrosés, à franchir par de classiques équipements de puits ou à l’aide de tyroliennes auto-régulées, que nous nous refusons de nommer « rappels guidés » car ça n’en sont absolument pas !
Nanou connaît bien ces « choses », car elle en a un souvenir assez tenace, et elle se montre particulièrement attentive à son installation…d’autant que c’est le moment de sortir les mousquetons à poulie intégrée, qui facilitent grandement l’évolution sur cet équipement particulier mais aussi protègent efficacement la corde porteuse d’une érosion rapide quand on se contente d’y circuler suspendu sur un mousqueton…qui frotte dur, très dur !
Mimi n’a jamais utilisé cet accessoire, s’étant contentée jusqu’alors de poulies classiques, encombrantes et lourdes…et elle va s’en débrouiller très bien, ne connaissant au final qu’un inconvénient mineur mais pénible…virole du mousqueton bloquée car serrée alors qu’il était soumis au poids complet de la spéléologue !
La solution va venir très vite en y remettant ledit poids…
Et de tyrolienne en tyrolienne, après la cascade du Topographe, on parvient à la zone des Grands Toboggans du Grand Canyon…ça fait beaucoup de «grands » tout ça !
Mimi passe en tête, et on va avoir beaucoup de chance : la rareté des pluies depuis des semaines, qui nous a valu des gours secs, nous vaut aussi de longues pentes argileuses beaucoup moins glissantes qu’elles peuvent l’être. C’est plutôt une argile adhérente que l’on rencontre…et avec les grosses  cordes tout du long de cet obstacle, ça paraîtra beaucoup plus facile qu’on ne le pensait.
Mimi et Nanou ont un moral en béton, juste ce qu’il faut pour se remettre aux verticalités !
Il y en a trois au programme avant la Grande Cascade.
Mimi s’y colle et va s’étonner elle-même de la relative facilité avec laquelle elle va gérer sa progression, de la maîtrise de son appréhension du vide alors que personne n’est là pour l’y aider ne serait-ce que par une présence ou un regard protecteur voire vérificateur de ses manipulations d’agrès.
Les équipements ne sont pas si faciles à utiliser que dans les grands puits du début, un peu plus techniques, un peu plus physiques, et l’exposition alternative aux embruns des cascades ajoute un peu de piquant à l’affaire !
Nanou suit sans peine, et le duo féminin s’accorde parfaitement…voilà la Baignoire…
Mimi va trouver la suite sans barguigner et sans tâtonnement, la fameuse chatière à main gauche, dont l’ouverture est « variable »…on est à – 950.
La suite est étonnante par sa conformation tortueuse et ses dimensions subitement réduites, jusqu’à la Vire-tu-Oses.
Nanou en a marre de sa lampe qui s’éteint spasmodiquement à chaque secousse du casque…Grrr !
Quelques bidouillages n’y changeant pas grand-chose, on va opter pour un échange de casques, histoire de répartir le désagrément sur deux têtes, c’est le cas de le dire !
C’est à cet instant que le trio remontant va nous croiser, il revient de – 1075, n’est pas allé se tremper après l’ « Affluent  – 1000 » car ça n’en valait pas la peine.
L’un  des trois n’a pas l’air très en forme…mais ça ira !

Cette Vire-tu-Oses, de par son appellation, pouvait laisser craindre quelque chose de très impressionnant…qui, du coup, est presque décevant par sa facilité ! Mais ça reste un beau passage, plutôt esthétique…on a bien fait d’oser !
Mimi est toujours en pointe…Puits du Pendule et ce sera l’Ouragan.
Elle sait très bien que c’est un beau morceau, mais ignore encore que ce sera surtout son approche qui sera le passage le moins évident…
Nanou colle au près, car elle, elle le sait !
Et leur proximité physique et morale, quelques conseils et encouragements permettront à Mimi de franchir la pseudo-vire d’accès, avec son étrier facilitateur…et voilà…deux fractionnements déportés plus tard, c’est la cote – 1025, le Puits de l’Ouragan a été « vaincu » !
L’objectif a été atteint…il est cependant déjà à peu près  23h30.
On aura mis environ 15 heures là où la moyenne des temps affiche plutôt 10 ou 11…peu nous importe !
On descend un peu plus bas se mettre à l’abri de la bruine de cascade, et vers – 1040, ce sera la collation, le plein d’eau et l’accolade symbolique…
Bravo, Mimi et Nanou ! Oui elles ont réussi, duo féminin en autonomie totale.
Maintenant…il faut remonter au moins au bivouac N°1, et c’est l’instant où nous passons de mardi à mercredi !!!
Nanou va reprendre la tête…
Cette première remontée va paraître très lente à Mimi qui commence à refroidir ! Elle n’est pas la seule.
Une petite brume très froide est inévitable, et on sera vraiment contents d’avoir franchi le premier fractionnement !
On est en régime monocorde, et la progression est évidemment plus lente, c’est encore une chance que presque tout soit fractionné…ça équilibre les temps d’action et d’attente !
La lampe capricieuse (bien que très récemment achetée) fait des siennes, s’éteignant à la moindre petite secousse, ou passant anarchiquement du régime économique au plus violent, voire au clignotement, au rouge…autant de contrariétés que de risques d’incident.
On va donc positionner cet éclairage pénible entre ceux qui ne le sont pas !
Et cela au moins durant les franchissements exposés des grandes cascades.
Ces dernières paraîtront « longues » à Mimi, qui s’était déjà interrogée à voix haute lors de leur descente…ben oui, – 1000 à descendre ça fait 1 kilomètre à remonter !
Dont presque la moitié sur corde…verticale ou très pentue.
Le plus difficile ne sera pas tant cette remontée que de devoir attendre en bas comme en haut, passer du chaud au froid et inversement, Mimi et Nanou commencent à « fatiguer ».
Deux heures du matin…en principe on dort !
C’est là que les petits entraînements à la « résistance » comme à l ‘« endurance » se révèlent importants, aussi bien pour le corps que pour l’esprit.
On entre en effet dans la phase de l’usure musculaire, de la fatigue nerveuse, du besoin de sommeil, d’une forme de lassitude qui amènent l’individu à se concentrer sur lui-même, voire à se recroqueviller, et à cela, Nanou et Mimi vont savoir et pouvoir échapper.
Elles vont trouver le tonus nécessaire pour remonter le Grand Canyon avec une belle régularité, une sérénité réconfortante, même dans les Grands Toboggans qui peuvent pourtant pousser au « ras-le-bol » avec leurs cordes engluées, un décor monotone couleur argile dans tous les sens…
La salle Eymas nous accueille vers 3 heures…Collation, eau, ressourcement d’équipe, on sait que les Coufinades sont là…pas loin…
Curieusement, loin de pousser à les redouter, l’ imminence de leur franchissement tend à doper les exploratrices, car il va y avoir de l’action, de la diversité, bien moins de temps d’attente, et surtout, la vie de l’eau, mille beautés à admirer presque tout au long du parcours, presque « humain » et confortable !
Mimi est d’attaque, Nanou dispose de sa force tranquille, la première tyrolienne auto-régulée (Une TARé, pour les intimes du club… J !) est abordée avec autant d’intérêt que de curiosité, car c’est un peu nouveau !

Mimi n’a vraiment pratiqué que sur tyrolienne remontante, monobrin, et c’est ici sa première fois sur brin guide et brin de progression. Elle va s’en tirer comme un poisson dans l’eau, pas sans efforts mais sans problème !
L’élan est alors donné, et la lampe farceuse ayant renoncé à casser les pieds à tout le monde, le duo féminin peut à nouveau évoluer indépendamment du « boulet »…
Ces magnifiques 500 mètres (à peine) des Coufinades forment le tronçon le plus passionnant, selon moi, et je ne suis pas le seul à le penser, du fait de son intérêt technique, sportif, étroitement associé à l’intérêt très esthétique, au caractère sauvage et vivant des lieux…
Tout n’y est pas facile à franchir, mais il y a toujours quelque chose de beau et/ou impressionnant à y voir, et on finit même par se complaire à jouer des longes sur ces mains courantes exemplaires de l’EFS, à jongler avec les meilleures prises de pied et à parfaire la gestuelle de franchissement…
On peut même y trouver un « manuel » technique d’AFD in situ et de nodo-technologie appliquée !
Tisserand, Plat, Tête d’alouette, Huit, Capucin , Vache plein-poing, Huit plein-poing…bonne révision des nœuds !

Quelques passages en opposition offrent une petite récréation, histoire de ne pas mouiller les chaussettes, et peu à peu, on parvient à la porte du Vestiaire après le très beau passage de la lucarne élevée…
Il est environ 5 heures !
Les sublimes Coulées Blanches nous offrent ce paysage de douces rotondités au teint d’albâtre mais Nanou et Mimi commencent à avoir un peu de mal à se pâmer devant les incroyables créations minérales qui nous entourent, l’idée de gagner le bivouac semblant devenue dominante !
On se demande bien pourquoi… -:) !
Malgré tout, certaines concrétions exceptionnelles ne passeront pas inaperçues car il y a encore les petits passages sur corde qui créent un peu d’attente.
Mimi avance, son obsession est devenue…DORMIR !
Voilà les gours de la salle des Treize, elle sait que la fin de cette première phase de remontée n’est pas loin.
Parvenue au bivouac, libération…décompression… mais non, le couchage n’est pas pour tout de suite !
Nanou est beaucoup plus habituée à ces « forcings », et prendra le temps qu’il faudra…y compris d’aller tranquillement faire le plein d’eau. Il est 6h 15…
Petit ménage, aménagement idéalisé des abris…c’est Bysance !
 Car les pinces à linge sont nombreuses pour bien fermer les cabanons « de survie », les tapis de sol cumulés depuis quelques années peuvent créer un matelas presque confortable, et que nos gentils bidons livrent un change sec complet, de la tête aux pieds !
Mimi bénéficiera même du prêt gracieux d’un duvet anglais laissé là la veille…Quel luxe, quelle chance !
Mais il faut aussi manger et boire un peu…et ce ne sera finalement que vers 7 heures qu’on pourra dormir ! Le confort a un prix…
Tout va bien…Mimi se fera une petite interruption de sommeil, car ça la change de sa chambre normale !
Contexte particulier, silence total, noir absolu…Elle finit par se rendormir.

Nanou dormira comme un loir !
Vers 11h30, deux anglais déboulent pour récupérer tout leur bazar, il leur faudra un bon quart d’heure !
Vers midi, deux autres visiteurs en recherche de spéléologues qui ne seraient pas remontés nous rejoignent…et non, ce ne sont pas nous les égarés!
Donc repartent, fort étonnés…ne trouveront l’explication que plus tard !
Il faut tout remettre en marche et en ordre après une bonne collation, et ce n’est qu’à 14 heures que l’on va effectivement démarrer…c’est dire que l’on aura pris notre temps !
Le moral est au beau fixe, les forces reconstituées, Mimi et Nanou ont bien quelques courbatures çà et là, mais la mise en jambes du Grand Toboggan aura tôt fait de réchauffer nos grands corps de sportifs !
Elles n’ont pas peur d’user des mains quand il le faut, c’est parfois raide et un peu glissant…
Mimi excelle à retrouver les passages préférentiels, elle a un penchant très net pour le rôle d’éclaireuse, dans le sens du scoutisme. Nanou n’est pas au meilleur de sa forme, mais elle le sait et sait aussi doser l’effort pour qu’il puisse durer. (Elle a été bien malade la semaine précédente…)
Tout le monde reste bien vigilant…pas question de trébucher ou partir en vrille, toute chute pourrait faire mal, très mal, trop mal…

On remonte les cascades, dont celle où une personne indélicate a cru bon piquer un mousqueton d’amarrage intermédiaire…on est sûrs qu’il y était à l’aller.
Seules sept personnes sont passées par là depuis… Le trio des israéliens, les deux anglais et les deux « sauveteurs »…on ne mènera pas d’enquête, mais c’est un comportement bien étrange et regrettable et même dangereux dans le milieu spéléologique. (?)
Quoi qu’il en soit il faut avancer…on fait une dernière provision d’eau car le passage aller a révélé que ce précieux liquide va se faire rare…et que remonter les puits va donner soif !
D’ailleurs les voici bientôt…les puits !
Nanou et Mimi sont bien en phase, l’une comme l’autre ont effectué des centaines de mètres de remontée sur corde dans les deux mois précédents, pour atteindre le minimum de 400 mètres cumulés sur quelques heures au maximum…et là, à peine 230 mètres avec des paliers, les Méandres…presque une formalité !
Elles se concertent entre corde fractionnée ou non, et d’un commun accord, partent à l’assaut… d’Aldo !
Un bon enchaînement s’ensuit alors, avec des encouragements croisés, une veille sécuritaire partagée aux sorties de puits, des entraides car les sacs commencent à peser et entraver, on est vraiment dans un esprit et un fonctionnement d’équipe où la solidarité est très présente et joue dès qu’il le faut.
C’est alors que les méandres…renaissent de leurs cendres !
Si ça passait assez vite à la descente et en étant « fraîches », ça va aller nettement moins vite à la remontée !
Moins vite, mais avec une régularité remarquable, une tranquillité gestuelle, ce qui n’enlève pas quelque appréhension dans certains endroits non sécurisés par une corde et où il est clair qu’une chute ne serait pas sans conséquences, notamment un coincement vertical…dont il n’est pas souvent simple de ressortir !
Mimi travaille beaucoup plus ses oppositions, mais elle a gardé le sac à la hanche, ça la gêne un peu !

Nanou est une tenace, elle sait mener les efforts dans la durée, de nombreuses expériences vécues en 20 ans, sur plusieurs jours voire semaines d’affilée, lui ont entré dans la peau et dans la tête cette force sourde et puissante qui donne et redonne de la ressource quand on s’approche des limites habituelles, les repoussant chaque fois un peu plus loin…mais jamais trop loin.
Toujours en communication, ce duo féminin, s’il n’est pas « rapide », ce qu’il ne cherche pas à être de toute façon, est redoutablement efficace.
Pas un « raté », pas une plainte, pas un gros mot, il avance, il avance, avec l’assurance des sages, la confiance des bienheureux, la patience des anges…
On est au Cairn…on récupère la bouteille de sécurité son bagage de bougies, briquet, barres énergétiques, on en sirote la moitié, et on rejette le trop-plein d’eau…on en a assez dans les sacs pour finir et rentrer « chez nous ».

Restent seulement les 25 m du Cairn, les petits Holiday et les 27 m du Ruiz…et ce sera la doline et ses petits 15 mètres à peine !
Ce programme léger en perspective regonfle Mimi et Nanou d’une énergie nouvelle !
Le Cairn et sa sortie en vire à plafond voient quand même Nanou souffrir un peu, son dos peine, je la vois grimper les yeux fermés pour se recentrer, prendre sur elle…régularité, régularité…
Comme elle le dira et répètera, son petit corps n’est plus qu’une même et grande courbature !!!
Les ressauts Holiday s’ils sont courts, ne sont pas si pratiques que ça à enfiler, mais au sommet du dernier (en remontant) la lumière du jour de la doline est déjà perceptible…
C’est fou ce qu’un halo bleuté de lumière naturelle peut apporter de plus que celui des lampes frontales !
Mimi le crie…oui, on voit le jour !
Le Puits Ruiz n’est plus qu’une formalité, Mimi et Nanou franchissent la vieille porte de fer désormais transformée en paillasson d’accès…
C’est presque fini, mais jusqu’au bout seront gardées les précautions consacrées, Nanou et Mimi tiennent à leur peau, pas question de bâcler la finale pour économiser une minute et une larmichette d’énergie…
Nanou sort à son tour, et c’est le lapiaz…les herbes et les fleurs, les arbres et les oiseaux…
Le duo féminin a bel et bien réussi son entreprise !

 

Il est 20 heures…soit 36 heures sous terre dont 7 en repos majeur et presque 2 en pauses mineures cumulées…une belle aventure sportive !
Mais…elle n’est pas tout à fait terminée !
3800 m à pied, près de 200 m à déniveler, avec sac de grotte additionné d’un « couffin à bretelles » garni…Mimi et Nanou, après un petit quart d’heure de répit et avoir rempli le registre de sortie sont reparties…
Et cela va être une superbe et dernière démonstration de ce que la volonté, la ténacité, la détermination peuvent permettre à des gens très fatigués.
Avec un pas de sénatrices, elles vont tracer la route sans aucune pause, à peine une heure, pour regagner le Col de la Molière, dans un silence total, à peine quelques soupirs ou soufflements…
Là où on aurait pu s’attendre à une remontée bien plus lente, coupée de pauses à répétitions, émaillée de plaintes ou de râlements, voire d’écroulements et même de refus d’avancer, on aura droit à un retour dans la douleur tacite, l’impassibilité, la rage contenue d’en finir peut-être (?), dans un stoïcisme impressionnant, un mutisme de lutteuse pugnace, marqué par un rythme d’une régularité de cortège méditatif cependant que la nuit avançait son voile crépusculaire…

Très bel instant que ce courageux et mémorable retour…
Et ce fut la Molière !
On lâche tout !
Mais là encore, pas d’excitation inutile, pas d’abandon de soi-même, le duo tient jusqu’au bout, dans la force et la dignité et même la légitime fierté…
On range, on se change, on prépare les lits, on donne les appels téléphoniques à 300 m de là « où ça passe », on papote avec des gens du camp de base montés là pour les étoiles (qui ne sont pas là), on dîne…le tout dans un calme olympien, bien net, bien rangé…
Loin, très loin de ce que l’on peut observer de certaines équipes masculines…
Car, de fait, le Berger au féminin, c’est quelque chose, ce fut autre chose… une bien belle chose !
Merci aux protagonistes, « mes » héroïnes…

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