Aventure dans la Gueule du Ru 633

Aventure dans la Gueule du Ru 633

4 mars 2023 Canoë 0

Aventure dans la Gueule du Ru          633

Récit…
Afin d’éviter les heures les plus froides de fin février, départ tardif vers 10 heures pour une « promenade » pédestre semi-nautique en Seine-et-Marne, qui, comme on le sait, est traversée par la Marne.
Cette dernière, très paresseuse dans son cours inférieur, décrit de longs méandres dont certains se referment presque sur eux-mêmes, et s’offre quelques îles comme des boucles d’oreilles accrochées à ses rives principales…

Tout étant à proportion, les boucles d’oreille en question mesurent de quelques décamètres au kilomètre de longueur !
J’entreprends de visiter l’une d’elles qui ne connaît pas de passerelle ou pont et semble n’en n’avoir jamais connu, car aucun vestige n’en est visible, qu’il s’agisse d’éléments de fer, de bois ou de béton.
Visiter son étendue émergée, de près de 5 hectares tout de même, où l’Homme semble ne pas (plus) être intervenu depuis quelques décennies, au vu de l’état de la forêt, car, à l’aune des définitions officielles, il s’agit bien d’une forêt.
Pour information opportuniste :
La seule différence entre bois et forêt quelque peu normalisée en France est celle de l’Inventaire Forestier National (IFN), qui définit comme forêt tout espace boisé de plus de 50 ares. Les bois et forêts doivent être peuplés d’espèces pouvant dépasser une taille de 5 mètres de hauteur.

L’île, « mon île » pour quelques heures d’auto-appropriation officieuse, affiche donc dix fois la superficie décisive, et abrite effectivement beaucoup d’arbres dépassant les 5 mètres, dont de gros peupliers qui doivent approcher des 25 ou 30 mètres !
Mais ce n’est qu’une forêt reconstituée par régénérescence naturelle…peut-être depuis une trentaine d’années au vu de certaines coupes d’arbres anciennes ayant généré des cépées un peu partout.
Je pourrais même évoquer une « jungle », bien qu’elle n’ait rien de tropical !
Mais la densité végétale et son enchevêtrement, heureusement peu épineux, évoquent fortement les jungles inextricables des pays où elles abondent et où on n’avance qu’à la machette (hélas !).
Nombre d’arbres morts gisent au sol, et, laissés là comme il se doit quand la nature n’est pas contrariée par les humains, sont peu à peu décomposés tout en nourrissant et abritant toute une faune très active…dont une bonne part invisible sans une forte loupe.
Ceux qui ne sont pas morts mais vieillissent, offrent de nombreuses opportunités à divers hôtes amateurs de cavités, d’écorces décollées, aux parasites de tous ordres, végétaux ou animaux, et champignons divers.

 

Accéder à cette Île n’est a priori possible qu’avec une embarcation, ou en étant héliporté, en visant les rares zones dégagées, ou bien jouer à l’équilibriste sur des troncs d’arbres tombés en travers d’une petit bras de rivière et son eau dormante, en les estimant suffisamment solides pour supporter le poids d’un être humain.
Ou bien, passer à pied…ou à la nage.
C’est là que les choses se corsent !
Le bras, parcouru d’une eau quasiment immobile, sauf lors de grandes pluies soutenues, voire de crues, est bordé de rives pentues et terreuses, fort glissantes à l’approche immédiate de l’eau, et circule dans un lit où l’épaisseur de vase peut être considérable, suffisamment pour s’y enliser au point de risquer de ne pouvoir en ressortir par ses seuls moyens.
Toutefois, pour autant qu’il m’a été permis d’en juger par sondages, il n’y a pas de risque de s’y enfoncer suffisamment pour s’y noyer (pour une taille moyenne d’adulte) tant que le niveau de l’eau est inférieur à 100 cm… au-dessus du fond où l’on se trouve …c’est une estimation !
Pour autant, y rester planté dans ses bottes dans une eau hivernale, avec très peu de passants à espérer, ne serait pas conseillé !!!

Cependant il serait bien sympathique de pouvoir faire le tour de cette île en bateau léger, genre canoë ou kayak.
Cela supposerait une voie d’eau continue praticable, tirant d’eau minimal de 20 à 30 cm, largeur navigable minimale de 70 à 90 cm selon les esquifs, hauteur libre 20 à 30 cm au moins pour les bateaux flottants, ou bien obstacles raisonnablement franchissables hors d’eau.
Et c’est bien ce que je suis venu faire…
Le vérifier, et, si nécessaire, rendre les passages effectifs dans les dimensions précédentes.
Un petit outillage et un équipement au corps du parfait randonneur-éclaireur-ouvreur semi-nautique a été prévu, tenant compte d’une température de l’air de 5 ou 6°C à l’ombre vers 10 heures. Et je serai à l’ombre, même avec des arbres défeuillés !
Néoprène des orteils à la poitrine, Waders , bonnet chandail et gants, sac à dos garni : sécateur, coupe-branchages, petite scie à bûches, sarclette crochetée…
Comme d’habitude, pas de « papiers », pas de montre, pas de téléphone, pas d’argent ou autre moyen de paiement, pas de carte, pas de GPS, juste ma bonne étoile et un peu d’expérience(s) en la matière !

J’entame la progression, pour très vite constater que l’actuel bas niveau des eaux a découvert les rives bien plus que d’ordinaire, laissant apparente une part du lit habituel, laquelle est très mouvante, les bottes y collent vite, y glissent beaucoup, voir s’y enfoncent profondément et rencontrent alors un terrible pouvoir de succion…
Il va falloir ruser !

 

Je vais alors utiliser diverses branches mortes disposées en entrelacs  sous les bottes, créant un réseau d’appui suffisant pour ne pas m’enfoncer plus de 10 ou 15 centimètres, ce qui est déjà « limite » pour ressortir une botte sans trop s’embourber avec l’autre !
Le premier embâcle nécessitera déjà l’usage de la scie, et dans l’eau même…ça commence bien pour mes petit doigts, heureusement sous gants de néoprène.
Quelques autres suivront, du même acabit, avec des déplacements dans de hautes herbes sèches, au pied desquelles je note que les orties ont déjà commencé à sortir leurs nouvelles feuilles…ça sera encore plus difficile d’accès dans quelques semaines !!!
Ceci m’amène à considérer l’environnement général en l’imaginant complètement printanier, feuilles et fleurs, insectes et oiseaux  en sus, et je me dis que ça devrait être très agréable à voir et à entendre.
Je prends donc un rendez-vous intérieur avec cette nature…pour bientôt ! Seul ou à plusieurs, on verra selon les motivations…
Un rapide aller et retour à la voiture pour me nourrir et m’abreuver…me plongera dans des jonquilles, premières créatures à mettre ici de la couleur vive au décor général gris-beige un peu trop uniforme, c’est la fin de l’hiver !

Un petit air du regretté Hugues Aufray (regretté sur scène, mais encore vaillant et poète à 94 ans, à ce jour) me vient aux lèvres…
« J’ai connu Émilie aux premières jonquilles.Elle était si jolie des jonquilles aux derniers lilas.Dans la ferme endormie, chaque fois que j’allais la voir,Son père avec un fusil m’attendait derrière l’abreuvoir.Il me chassa, aux premières jonquilles,Me fusilla, des jonquilles aux derniers lilas…. »

Mais je ne me détourne pas de mon objectif : le passage complet doit être réalisé ce jour !

 

 

Les choses vont se gâter avec des embâcles de plus en plus éloignés de l’embouchure amont du bras de Marne, donc de plus en plus chargés…et traîtres !
Le gros sécateur va devoir beaucoup travailler, la scie aussi…
Le plus difficile n’étant pas vraiment de couper, mais d’extraire ce qui est coupé…le tout perché sur des bouts de bois envasés.
Et bien sûr, ça finit par lâcher !

 

Plouf ! Pas immergé, mais à ras des Waders, et un gros trou au genou fait se remplir la chose !
Et cette « chose » là, quand ça se remplit, ça pèse très lourd dès que l’on cherche à ressortir de l’eau…
Tout va bien tant que l’on reste immergé…sinon, ce sont environ 20 à 30 kilos de flotte à mouvoir.
Et ça s’aggrave avec la vase qui s’enfuit sous les semelles !
Bon…réagir au plus vite avant d’être trempé jusqu’aux os et devoir « nager » puis ramper sur la berge…
J’attrape les branchages aériens à proximité  ce qui va réduire ma masse corporelle et limiter le remplissage, et commence alors une laborieuse progression botte après botte, qui, heureusement sont reliées aux épaules, faute de quoi, je pouvais leur dire adieu !
Sans omettre que, les bottes perdues, pieds et chaussettes impliqueraient de s’enfoncer encore plus, la surface portante étant moindre.
Merci à l’inventeur des Waders à bretelles…

 

Je finis par atteindre une partie de la branche plus importante qui permet une suspension partielle, mais elle plie sous le poids…je dois me contenter de me tracter vers la berge, et finis par retrouver une assise plus ferme au sol avec les branchages que j’y avais accumulés.
Enfin de retour à la terre « ferme », je vidange…heureuse idée que j’ai eue de porter une salopette de néoprène, sinon cette escapade s’arrêtait là pour aujourd’hui ! A l’ombre et mouillé, il fait quand même plutôt frais !
Donc, je vais reprendre car il faut bouger, néoprène ou pas. La thermogenèse à ses règles !
Las ! L’appareil photo a fait sa petite trempette lui aussi, je ne m’en aperçois pas immédiatement…quelques photos seront perdues et j’ai la flemme de revenir en arrière pour les reprendre…que c’est vilain !

Les embâcles suivants seront des enchevêtrements peu commodes à aborder, et cela amènera à créer des passages en chicanes, ce qui est très intéressant pour apprendre à manœuvrer les kayaks et canoës et crée des ambiances plus aventureuses.
Plusieurs gros arbres se sont effondrés en travers du cours d’eau qui en reçoit justement un autre, petit affluent modeste, mais qui peut devenir gros si on en juge par les déchets accrochés haut dans les taillis de bordure et dans le sens de son courant et non pas de celui de la Marne.
J’étais dans le lieu-dit « La Gueule du Ru »…et je viens d’en sortir !!!


Ces embâcles gros format peuvent être contournés par en-dessous si le niveau de l’eau reste modéré, sinon, il faut débarquer et passer les bateaux par-dessus puis rembarquer, ce qui est très sportif et divertissant !
Mais point trop souvent n’en faut !!!
Ils offrent aussi une possibilité de traverser dans le mode « Tarzan » sans liane.
Mais ils sont aussi couverts de branchages morts intriqués qu’il faut lentement dégager, en se méfiant des instabilités brutales que cela peut créer, on est comme dans un jeu de château de cartes ou de dominos en chaîne !

Après une bonne douzaine d’obstacles principaux, éliminés ou aménagés, j’aperçois le débouché aval et retrouve la grande rivière avec un paysage ouvert sous un magnifique ciel bleu zébré d’un envol de bernaches…
J’ai passé 5 à 6 heures à moitié dans l’eau, aux trois quarts dans les broussailles et ramures, j’ai dérangé quelques oiseaux…j’ai joué de la scie, du sécateur et du piochon, pour parvenir à recréer une voie navigable pour esquifs, dans un cadre sauvage qu’on n’imagine pas à 50 km de Paris !
Mais ça restera confidentiel évidemment, et certainement éphémère, car les embâcles ça se reforme très vite !

 

Avec un peu de chance, ça tiendra juste assez longtemps pour que les gens du club en profitent !
On pourrait même enrichir tout ça encore en s’amusant à remonter le petit affluent autant que possible, ou encore en greffant une petite randonnée pédestre en circuit, pour varier et se détendre les jambes !

 

 

De retour vers 16h30, je consulte les photos, et dame ! Le résultat n’est pas mal du tout !!!
C’est décidé, j’y retourne en kayak dès l’installation de feuillages vert tendre et des fleurettes …

Les quelques clichés ci-dessous illustrent bien le côté « sauvage » des lieux !!!

Et il n’y a pas les feuilles aux arbres ni les plantes annuelles…

 

     

 

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