Les Niphargus soyots… 565

Les Niphargus soyots… 565

10 juillet 2022 Spéléologie Zanimos 3

Les Niphargus soyots… 565

C’est quelque part dans les 11 km de développement de Pourpevelle, gouffre mythique depuis près d’un siècle, que nous avons rencontré quelques habitants soyots sans papiers, dissimulés sous terre, avec un statut de réfugiés climatiques que leur grande famille détient depuis au moins 50 millions d’années…  (Soyot…habitant de Soye, charmant petit village de 400 âmes environ, dans le Doubs)

Photo Philippe Crochet

C’est une population fort difficile à déterminer avec précision, on compterait déjà actuellement environ 250 espèces connues dans leur famille, que seuls d’éminents spécialistes sont à même d’identifier avec certitude…et cela suppose des mécanismes de spéciation influencés par la diversité des milieux habités, la mobilité étant ici très limitée, ce qui implique des évolutions spécifiques à caractère endémique.

Mais sous le territoire ensoleillé des 14000 hectares de Soye, au sein du grand gouffre et ses kilomètres de galeries, des bouts de rivière, des vasques permanentes, des « lacs », des Crustacés ont élu domicile, sans doute depuis très longtemps…et c’est accidentellement ou presque que nous en avons rencontré quelques-uns très aimables, qui ont bien voulu répondre  à nos questions, après nous avoir demandé d’éteindre nos éclairages ou de les affaiblir au maximum, car la lumière ne leur plaît pas du tout…

1) Bonjour, qui êtes-vous exactement ?
Alors, chers spéléologues, nous sommes des invertébrés Arthropodes, c’est à dire des bestioles sans squelette interne (mais nous avons un exosquelette rigide !) et au corps fait de segment articulés. Plus précisément, portant dix à quatorze pattes articulées et deux paires d’antennes, nous sommes classés parmi les Crustacés ! Mais sans carapace en ce qui nous concerne.
Comme notre corps compte 18 segments en plus des antennes et d’un telson (à la queue), nous sommes des Malacostracés, et notre corps comprimé latéralement fait de nous des Amphipodes !  Nos cousins de la surface sont les Gammares… Voilà vous savez tout…

2) Non, pas tout, pas encore ! Quelles sont vos mensurations ? Question bien indiscrète nous l’avouons…
Oui, pour nous, champions de la discrétion, c’est sûr ! D’ailleurs c’est par chance que vous nous voyez car si des ostrogoths de votre gente Homo étaient passés par là depuis peu avant vous, l’eau serait trop troublée pour nous voir avec nos 10 à 30 millimètres ici, et nos 10 ou 15 milligrammes là, en plus de notre couleur pâle laiteuse voire notre translucidité…

3) Mais si vous êtes si peu visibles, pourquoi faire éteindre nos lampes dont nous avons besoin pour mieux vous voir ?
C’est que nous vivons dans l’obscurité totale depuis des millions d’années, chers spéléologues très bien voyants, alors les éléments visuels sont devenus inutiles, donc ont progressivement disparu ou presque, car s’ils ne sont plus présents regroupés en organe visuel, il persiste néanmoins des cellules éparses sous notre enveloppe  cuticulaire, qui nous font réagir et nous poussent à fuir la lumière, surtout les ultra-violets que nous détestons.
Sachez tout de même que cette lumière nous est fatale en quelques jours seulement…d’où notre supplique pour l’extinction des Leds !!!
Le plus souvent, nous fuyons nous cacher sous des cailloux ou des rebords de rocs.

 

4) Mais…comment et de quoi vous nourrissez-vous dans ces lieux où on ne voit ni végétaux ni d’autres animaux ?
Alors là, sachez d’abord que l’eau que vous voyez à vos bottes sales vient de là d’où vous venez ! Et qu’elle transporte régulièrement des tas de choses bonnes à manger pour nous qui ne sommes pas trop difficiles, plutôt carnivores chasseurs quand tout va bien, mais aisément détritivores, phytophages, nécrophages, coprophages…quand il le faut.  Petites larves, débris de végétaux, cadavres, argile impure …
Si ça bouge, on repère grâce à des capteurs vibratoires…si ça ne bouge pas, on repère grâce à des cellules olfactives !

5) Brrr ! Il fait froid ici depuis qu’on ne bouge plus, et pour vous ?
Ah, ah, ah ! Vous êtes drôles vous les spéléologues, des humains homéothermes…mais nous, dans nos eaux à 10 °C on est très bien, et on s’adapte quand la température monte un peu (mais pas trop car à 15 ou 16 °C, on clamse !!! Comme vous à 50 °C par exemple !)
Si on n’aime pas la chaleur, c’est que plus l’eau est chaude moins elle contient d’oxygène et que nous ne sommes pas capables d’augmenter notre rythme respiratoire pour compenser. Et notre métabolisme est lui aussi perturbé.
Côté froid, ça ne descend jamais beaucoup, mais on a des copains près des entrées  ou de la famille à la montagne, et ils tiennent plusieurs semaines dans l’eau gelée ! Une sorte d’hivernage occasionnel…

6) Oui, oui, oui…et…pour avoir des enfants, on fait comment ?
Ah ! On savait bien que vous viendriez à cette question, c’est que ça vous travaille vous, la reproduction , hein ?
Bon…chez nous, pas de chi-chi, on s’identifie mâle ou femelle grâce à des phéromones, et on ne s’accouple pas (ce serait compliqué avec toutes nos grandes pattes !). L’accouplement n’est donc pas observé, les cellules mâles sont libérées contre la femelle et fécondent les ovules pondus eux aussi librement, mais nos femelles incubent de quelques œufs à une soixantaine selon les espèces, entre les pattes, sous leurs corps. Nos juvéniles passent par une succession de cycles de mues pour atteindre le stade adulte, ceci sur 3 à 4 mois en raison des températures basses qui règnent ici, et d’ailleurs nous mangeons nos exuvies car pas de gâchis chez les Niphargus !
L’air de rien, nous vivons en moyenne une bonne dizaine d’années, près de 15 ans pour les plus forts et les mieux logés-nourris, ce qui est une longévité exceptionnelle pour les petits organismes qui sont les nôtres, facilitée par l’absence de prédateurs, la faible variation du milieu de vie, et notre activité réduite, estimée à 25% du temps de vie, 2 à 3 fois moins excités que nos cousins Gammares de dehors.
D’ailleurs, on ne se soucie même plus du rythme circadien, on ne sait même plus ce que c’est dans notre vie de troglobies, et même de stygobies vu qu’on est toujours dans l’eau avec notre respiration branchiale.

 

 

7) Branchiale ? Mais dans cette grotte, il arrive régulièrement qu’il n’y ait plus d’eau là où vous êtes ?
Eh, oui ! Mais nous sommes des Niphargus ! On est capable de survivre 2 à 3 mois sans eau libre, à la seule condition de rester dans l’humidité permanente, ce qui est le cas dans cette galerie, et/ou de se fourrer dans une petite cellule d’argile mouillée !
Et faire une diète de 2 à 3  mois ne nous fait pas peur !!! Surtout si l’argile où on se tient est truffée de débris organiques, ce qui est le cas chez nous…car comme vous pouvez le constater on s’est installés sous des aires de stationnement de chauves-souris qui nous offrent régulièrement leur guano…et voilà ! La soupe est servie ! Du coup, notre corps peut être un peu rosé ou beige…
On a des copains qui mangent beaucoup d’algues d’eau douce, et qui paraissent un peu verdâtres…de là, si on veut changer de couleur, on n’a qu’à se nourrir en conséquence… On rigole bien, nous les Niphargus ! Essayez-donc vous, les gros humains épais, de vous changer en martiens en bouffant de l’herbe !

8) C’est pas gentil de vous moquer…Car nous au moins, on est connus !
Hé là ! Mais c’est que nous aussi on est connus ! La preuve, les slovaques nous ont dédié un timbre à 1,9 euros ! Alors ?
Et les roumains avec un timbre pour Emil Racovita qui a inventé la biospéléologie en nous observant ! Alors ?
Et la grotte touristique de La Cocalière avec son jeton à notre honneur ! Alors ?
On est presque aussi connus que le Protée anguillard ou l’Axolotl et les Chauves-Souris, c’est dire !

9) Ok, ok…on s’excuse…mais vous avez peut-être encore quelque chose d’original à nous signaler qui vous concernerait ?
Oh, que oui ! Par exemple, que ce fouillis apparent de nos pattes, plutôt disproportionnées à ce qu’on en dit, est dû à leur allongement progressif durant des millions d’années, car à vivre dans le noir, il faut bien trouver des moyens compensatoires de la vision absente.
C’est comme pour vous, sans lumière quand vous progressez à tâtons, ou tel l’aveugle avec sa canne, donc nos longues pattes et antennes sous servent à déambuler au « sol » et à nager, à nous orienter, à nous stabiliser, à détecter les particularités du milieu, à chasser…
C’est pour ça, nos longues pattes…
Bon…allez, il est temps que vous continuiez votre escapade, parce que vos lampes nous importunent et que vous allez prendre froid… !

 

3 réponses

  1. Gerig dit :

    Un bien agréable dialogue 😉

  2. Alain Furon dit :

    Bon reportage mais,pouvez vous me dire si les niphargus sont comestibles ?

    • Christian dit :

      Bonjour Alain,

      Merci pour ce commentaire s’il n’est pas une mauvaise plaisanterie car je lis ceci (ci-après) sur Internet : (s’agit-il d’un double homonyme et spéléologue de surcroît ?)
      Sinon, je réponds à la question qui peut servir à d’autres bien vivants…
      En l’absence de toute information éclairée qui serait négative, il n’y a, a priori, aucune raison à ce que ce crustacé soit impropre à la consommation humaine, à l’instar de moult espèces du même groupe animal. A priori, car, comme pour tout animal ingéré ou presque, sa qualité nutritive et sanitaire dépend du milieu dans lequel il vit et de son alimentation.
      Il est difficile de savoir ce qu’ont mangé des Niphargus récoltés sous terre, où dans quelle eau ils ont vécu avant de les manger !
      Vu leur masse pondérale, ils ne seraient de toute façon guère nourrissants, sauf à en capturer des centaines !!!
      Néanmoins, on attendra qu’un jour des rescapés puissent témoigner d’avoir survécu en buvant de l’eau et mangeant ces pauvres bestioles, ou qu’un nouveau Michel Siffre décide de tenter l’expérience (au détriment de la faune locale)

      Bonne journée, Alain Furon…espéré bien encore de ce monde !(après le 17juillet 2023)
      Car…..Avis d’Obsèques :(Ouest-France)

      Le Breil-sur-Mérize (72)

      Emilie Furon, sa fille et Charly;
      Lhéo, son petit-fils,
      Bernard, Marité,
      son frère, sa soeur et leurs conjoints;
      Magali, sa filleule;
      ainsi que toute la famille
      ont la tristesse de vous faire part du décès de
      Monsieur Alain FURON

      survenu le vendredi 14 juillet 2023, à l’âge de 73 ans.
      Un dernier hommage civil lui sera rendu
      vendredi 21 juillet 2023,
      à 11 heures,
      au crématorium des Hunaudières de Ruaudin.
      Alain repose au funérarium de Connerré.
      Ni fleurs, ni plaques, juste une rose pour l’accompagner.
      Le présent avis tient lieu de faire-part et de remerciements.

      Mis en ligne le Lundi 17 Juillet 2023

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