L’Aven de Noël d’Ardèche 701

L’Aven de Noël d’Ardèche 701

7 novembre 2023 Spéléologie 0

 

 

L’Aven de Noël d’Ardèche       701

L’Aven de Noël, découvert en 1989, bicentenaire de la Révolution Française, est une grotte mythique, et elle mérite le qualificatif !
Si nous précisons « d’Ardèche », c’est qu’il existe d’autres cavités naturelles répondant à cette appellation dont une dans le Roussillon découverte en 2015, mais ne développant que quelques dizaines de mètres à ce jour.
Cet article se veut en partie descriptif, pragmatique, objectif, à usage utilitaire, en partie récité à la manière d’une aria, et, de ce fait, subjectif et plus ou moins romancé. Le mixage des deux approches et des ressentis reflète bien, selon l’auteur, ce que peut être la visite de ces lieux quelque peu magiques, par endroits presque incroyables !
On ne peut commencer sans citer l’ARSPAN, sans laquelle cette aventure souterraine ne serait même pas permise, ou bien amènerait à constater d’affreuses dégradations si elle était possible sans contrôle et attentions diverses.
On louera la politique de l’association protectrice qui est d’autoriser les visites à titre gracieux (même pas de propos « incitatifs » à participer financièrement) en assurant une planification soignée et raisonnablement régulée, mais aussi en fournissant toutes pièces utiles à la meilleure visite possible, préalablement à cette visite, pièces disponibles en ligne.
Ce qui peut évidemment être complété en lisant quelques uns des nombreux commentaires illustrés disponibles sur Internet.

Enfin, l’Arspan s’est fortement investie dans l’aménagement et la valorisation de la cavité, avec trappe, échelle, brochage, équipements fixes de petites remontées dans les galeries, panonceaux de situation, guidage au ras du sol matérialisé quasi continu et suffisamment discret pour ne pas gâcher les prises de vue.

 

Lors de la visite, nous avons de plus constaté la pré-existence d’une voie cordée en « fixe » dès la tête de puits 90, équipement qui n’est peut-être pas permanent, donc pas garanti, mais qui, le cas échéant, faciliterait la vie d’une équipe qui serait nombreuse !
Donc, un grand « merci » et un grand « bravo » à l’ARSPAN.

Après un contact électronique avec cette association, pour demander un accès en respect des conditions fixées, on reçoit une confirmation et une adresse pour retirer le code du cadenas, se voir expliquer le chemin d’accès, et quelques conseils utiles.
Comme c’est un code et non pas une clé, il n’y a rien à remettre au retour, donc aucune autre contrainte que de passer un message téléphonique une fois ressorti. Pratique et simple !

 

 

 

On accède donc par un bon et large chemin très stable, caillouteux sans excès, pour stationner sur une aire sauvageonne dégagée, ne posant aucun problème, si ce n’est une forte exposition à une visite indélicate du véhicule, mais c’est là un lieu commun…que tout spéléologue au long cours connaît bien. Véhicule souvent bien plein, complètement isolé, fréquemment en période nocturne, et les occupants devenus impuissants loin sous terre et pour longtemps, voire faciles à piéger dans leur « souricière »… c’est chaque fois un pari !
Un petit sentier de cailloux blancs (ou presque) conduit rapidement à une jolie trappe en acier très épais, voulue coulissante, et bloquée par un cadenas niché dans un godet cubique réduit et enterré, difficilement fracturable…petite combinaison chiffrée, et c’est parti !
La lourde trappe se manœuvre sans difficulté, on découvre alors une échelle fixe de quelques mètres…très tentante en direct, mais qu’il vaut mieux doter d’une corde d’assurance partant de l’extérieur…un joli petit arbre se prêtant bien à un amarrage, juste à côté.

 

 

Par (vilaine et triste) expérience, on n’utilise pas de connecteur, si tentant à l’emprunt sans retour, et donc susceptible de provoquer un accident si la corde n’est plus retenue.
Les quelques barreaux passés, on se trouve presque directement au-dessus du premier puits de 30 mètres, preuve, s’il en était besoin, qu’une corde d’assurance, dès l’extérieur, n’est pas un luxe.
Je passe maintenant à la première personne…vu le caractère subjectif que peuvent revêtir mes propos…mais dans ce « je », il peut y avoir quelqu’un d’autre !
Les premières broches de tête de puits étant relativement distantes, on pourrait passer à côté du noeud en « Y » qu’il vaut pourtant mieux utiliser.
Je suis au sommet d’un puits d’environ 30 mètres souvent décrit comme « étroit », et je suis presque déçu par ses dimensions, car sauf à mesurer 2 m et peser 130 kg ou à s’entêter à garder son sac sur le dos, je ne vois pas bien en quoi ce puits est « étroit », bien que je ne sois pas vraiment svelte !

 

Tout est relatif, il est vrai.
Je commence, et grâce à une belle fiche d’équipement sous plastique réalisée par une équipière aussi sérieuse que soigneuse, je repère très vite un anneau de Dyneema crocheté dans la paroi, qui incite à poser une déviation réduite à un mousqueton seul.
Je poursuis jusqu’à trouver une broche qui pousse elle aussi à la déviation courte, d’environ 30 cm, aux fins de pouvoir aller jusqu’au palier final sans aucun frottement.

 

 

Là, je constate qu’un équipement correct comme ici réalisé a bien réclamé 40 m de corde comme stipulé.
La suite est une progression sub-horizontale au début dans des blocs coincés, puis en opposition entre des parois rapprochées, et débouchant au-dessus d’un beau vide estimé à 90 m.
Le brochage est très fonctionnel, la progression plutôt aisée, beaucoup de prises de pieds et j’arrive alors à la seconde tête de puits, puis à la troisième peu après, en constatant qu’il me reste beaucoup de corde sur les 20 mètres préconisés lorsque j’arrive à la quatrième tête…Pas envie d’un raccordement de corde plain vide, donc je remonte un peu aux amarrages supérieurs.

 

Je dois donc rembobiner l’excédent, sans vraiment m’expliquer sa raison d’être, sauf peut-être parce que les cordes du club sont souvent un peu plus longues que marqué pour anticiper la rétraction due à l’âge et à l’usage, que les 6 nœuds de ce tronçon ont été réalisés « à l’économie », et que je n’ai pas utilisé la corde pour former une pédale de franchissement…tout ça représentant environ 6 à 8 m ! Ça doit être l’explication !

J’enchaîne alors en m’inspirant de l’équipement déjà en place, ce qui n’était pas prévu.
Le brochage est bien là, et tout est techniquement facile. Il n’y a que des têtes de puits ou des fractionnements très classiques à équiper.
Cela permet de me concentrer un peu plus sur ce qui m’entoure…et c’est bien grand !
Les concrétions sont encore relativement banales, de grandes dimensions, je reste proche de la paroi, mais le plafond comme le sol paraissent très loin. Le dernier tronçon de 35 m me voit alors complètement dans le vide, selon l’image bien connue de l’araignée pendue à son fil, et le sol se rapproche rapidement…m’y voilà !

 

 

J’ai bien connu les échelles souples mises bout à bout et les cordes basiques, et je ne peux m’empêcher de penser au nombre de fois que j’ai considéré confier ma vie ensuite à seulement 75 mm² de polyester…Mais ça a toujours tenu !
Une bouteille d’eau laissée là me ramène sur terre. Elle pourrait passer pour oubliée, ou abandonnée pour lâcher du lest, mais j’opte rapidement pour une version plus constructive, celle d’une petite réserve pour spéléologue assoiffé(e) qui doit encore remonter 120 mètres sur corde, et serait bien content(e) de boire un coup !      
J’attends mes équipières, de fameuses équipières, sur lesquelles je sais pouvoir compter, pas seulement techniquement, pas seulement sécuritairement, mais pour leur démarche de découverte des lieux, leur approche esthétique, leur sensibilité.
J’ai emporté un bon projecteur, sachant que ce serait bien dommage de mal éclairer ce qui nous attend, et c’est en guise de cadeau que je le leur mets en mains.

 

Mais le beau  cadeau, c’est bien mon équipière qui me l’offre, une battante, une dynamique, avec ses forces et ses faiblesses, capable de mobiliser les premières pour dominer les secondes, qui a réussi à maîtriser ses appréhensions diverses, qui a su gagner en confiance en faisant confiance, une tendre derrière une façade forte, et qui sait s’émouvoir dans l’authentique pureté, une amoureuse du vrai…qui n’a pas craint de me confier sa vie.
Je sais que je peux compter sur elle comme elle peut compter sur moi, et c’est fort…

Commence alors la visite…
Fichtre ! C’est très vite subjuguant…
Grands espaces, déambulation facile, et partout, partout, quelque chose à voir, à admirer.
Des petits sapins d’argile aux stalactites et stalagmites de tous poils en passant par les colonnettes, les piliers, les draperies, les excentriques, les gours, les coralliformes, partout, partout…
D’abord submergé par autant de concrétions propres, très peu abîmées, je reprends un peu mon souffle pour réduire mon champ de vision à des structures isolées…je me concentre sur ce qui est par terre pour ne plus voir ce qui est en l’air, et inversement !

 

Je m’approche de ce qui peut être approché sans rien endommager ou salir, et observe les teintes, les formes, les faces cristallines, la pureté calcitique, et plus je vois, plus je découvre à voir, comme lorsque l’on regarde le ciel nocturne dégagé, où cent étoiles en deviennent peu à peu mille.
Je ne peux m’empêcher d’exprimer vocalement mes surprises, mes joies, mes extases devant tant de création naturelle, tant de spécimens minéraux, tant de spéléothèmes aussi diversifiés, aussi nombreux, certains extraordinaires.
Je ne fais pas dix mètres sans me tortiller le cou à dénicher quelques nouvelles beautés rares, et je les trouve à chaque fois…cette grotte est une cassette de trésors !
Mes équipières ne cessent de mitrailler tout cela avec leurs téléphones, et j’en suis bien heureux, d’une part parce que j’ai oublié ma carte mémoire à la maison (…) d’autre part parce que j’ai toujours su que les photos prises par elles seraient bien meilleures que les miennes !

 

J’avais sournoisement concocté tout ça, sous forme de conseils techniques et de commentaires rassurants, oui, les téléphones ne risqueront rien !
Outre les concrétions et autres formations karstiques, ces dames affectent de prendre quelques poses personnelles de mise en valeur…ou se lancent dans la photo d’art, les deux démarches s’hybridant plus ou moins !
Une petite pointe dans une galerie annexe mineure nous offrira un rare spectacle d’excentriques ascendantes en banquette de bouquets, absolument magnifique. Nous respecterons le conseil de ne pas pousser plus loin pour cause de risque fort de salissure et brisure de concrétions…mais nous imaginerons qu’elles sont sans doute tout aussi merveilleuses.

 

Une seconde grande galerie, assez différente, nous présentera une belle collection de gours de dimensions décamétriques pour certains, ce sera une partie un peu plus sportive qui réchauffe, même si la température moyenne de la grotte est clairement plus élevée que celle à laquelle nous sommes habitués…on gagne bien 4 degrés ici !
Deux petits équipements fixes autorisent une visite complète, et c’est heureux car cette cavité est intéressante, voire passionnante, sur toute sa longueur, on n’est jamais déçu de ses efforts produits !
Les grands gours impressionnent, surtout vus du haut, et je regretterai silencieusement qu’ils ne soient pas en eau, ce qui semble être le cas depuis très longtemps.(?) Dommage que nous n’ayons pas ces superbes miroirs étagés où se reflèteraient les voûtes et leurs stalactites…

 

 

 

Sur le retour, car il faut bien s’en retourner un jour, la fièvre photographique étant quelque peu retombée, je marque de petites pauses aux endroits les plus spectaculaires qui laissent muet par leur prestance ou les plus intimistes qui touchent au cœur par leur fascinante beauté secrète, comme l’on peut contempler une femme, passant de son académie morphologique au fond de son regard, du charnel au spirituel, de l’animal au sentimental…

Voilà cet étourdissant ensemble de milliers de fistuleuses plus ou moins anastomosées, qui se reflètent les unes dans les autres, ou qui paraissent se faire concurrence, chacune cherchant l’espace voulu pour croître encore isolément, ne pas, ne plus disparaître dans la foule des autres.

 

*

 

Voilà cette alcôve scintillante de toutes parts, où ne manque qu’une jolie statue, que l’imagination ne tarde pas à créer sous la forme que l’on veut.
Voilà ces cierges crénelés qui s’élèvent en défiant la pesanteur, ces piliers stalagmitiques et leurs fanons de sucre glace, ces faux palmiers de faux albâtre et leurs arabesques corinthiennes, enchaînés ensemble, et qui, dans leur splendeur, figurent la mort lente de la galerie…inéluctable.
Voilà ces pendeloques, cette myriade de coralliformes, et ces incroyables excentriques de cristal, qui troublent par leur croissance hors-norme, leur diversité anarchique, qui miment un peu un asile de fous en goguette ou bien une danse folklorique de libertaires au crépuscule !
Voilà ces sculptures argileuses qui attendent que les gouttes d’eau génitrices tombent enfin pour creuser les sillons qui leur donneront formes et grandeurs, fragiles et discrètes beautés brunes ou ochracées, aux reliefs faits d’ombre et de lumière…

 

Là, j’observe un temps de méditation en regardant une de mes équipières, pétrie de sensibilité(s), qui se marie harmonieusement avec un groupe étincelant de stalactites, union de beautés minérale et humaine, chacune exaltant l’autre, et je mesure ma chance d’être en leur présence, invité par l’une, accompagné par l’autre. J’admire son regard d’admiration… et derrière lui, cette intelligence, cette ressource mentale, toutes deux compensatrices d’un potentiel physique plus modéré, l’image de quelqu’un qui peut être là où ne l’attend pas, quand on ne s’y attend pas !
Qui peut créer la (bonne) surprise, comme cet aven de Noël nous en a tant réservé à chaque détour de sa découverte…

 

Parvenu ainsi, presque sans m’en être rendu compte, au pied du grand puits, je suis étourdi par tant de merveilles rencontrées en si peu de temps.
Pas du tout pressé de remonter. Je sais que, seul, je serais resté là bien plus longtemps, que j’aurai fouiné davantage pour trouver ce qui ne se voit pas de suite. Que j’aurai davantage rêvé ou médité…
Mais je ne suis pas seul, et ce n’est là que le premier jour de cinq à venir, et qu’il faut garder du tonus.
Et que mes équipières ont bien raison de savoir mesurer leurs efforts, d’autant que la remontée ne sera pas de tout repos pour elles.

 

 

Je vais donc profiter de ce que je serai le dernier pour une ultime rêverie que la danse de leurs lampes va orner de feux follets sautillant sur les parois,
et la corde me semblera plus courte qu’à la descente, ce qui est peu courant !
Un peu d’aide et quelques conseils aux passages techniques, je tiens la corde tendue sous les bloqueurs, et je déséquipe tranquillement, engouffre les décamètres de corde dans le sac, tout cela parfaitement coordonné avec celle qui me précède, jusqu’à rejoindre le « grand » palier où nous serons tous réunis pour quelques minutes…
La corde unique et ses deux déviations restent maintenant au programme, et, comme le disent certains, les bons chevaux sentent que la bonne écurie n’est pas loin !
Je leste ladite corde avec le premier sac bien rempli de cordes mouillées et accroche le second sac à ma ceinture.

 

 

 

La remontée de ce puits « étroit » est en fait facilitée par la possibilité de poser un pied sur des saillies réduisant la masse et augmentant la poussée de l’autre pied, car ici l’utilisation du bloqueur de pied n’est pas forcément une bonne idée.
Le déséquipement s’achève sans aucune difficulté, la trappe s’ouvre (Ouf !) et la joyeuse équipe se retrouve à l’air libre…12 heures TPST !
Il ne pleut pas, ne vente pas, température clémente pour fin octobre, beaucoup de place pour s’étaler, voiture restée intacte, …Tout nous aura été favorable.
Petit coup de téléphone à Madame Annie de Bidon, et on gagne notre bel abri de chasse !

 

 

Comme on se sent humble…

 

 

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