La récompense du mérite partagé. 254

La récompense du mérite partagé. 254

1 décembre 2019 Grottes Spéléologie 0

La récompense du mérite partagé,  254    (Novembre 2019)

Le récit qui suit est celui d’une aventurière dans la grotte de Neuvon.
Nous le publions car, entre autres bonnes raisons, il exprime sensiblement le vécu non pas seulement de la narratrice mais aussi celui de ses équipiers, quand ça va très bien comme quand ça va moins bien, et fait très bien valoir les valeurs propres à la spéléologie (Et à d’autres activités aventurières de pleine nature) que sont la patience, l’opiniâtreté, la solidarité et l’entraide, le partage des difficultés et des handicaps, la complémentarité physique et psychique, le partage des échecs partiels et, au final, de la réussite complète.
Cette réussite finale de chacun, de chacune, de tous ensemble, véritable récompense du mérite partagé.

Et voici une nouvelle aventure SJV…!

Nous devions descendre dans cette grotte de Neuvon, ce pour quoi il faut effectuer une réservation auprès du Club local, selon disponibilité du calendrier, aux fins de réguler les flux, et d’exercer une protection « au cas où »…au départ pour une équipe de  6, nous concernant. 
Au fil des semaines de préparation, le groupe s’est réduit à 4. Et un cas de force majeure de dernière journée l’a réduit à 3.
 
Un accompagnateur expérimenté, 1 semi-autonome et 1 moins habitué.
(NDLR : « semi-autonome », dans le jargon SJV, désigne une personne qui sait déjà faire pas mal de choses, bien plus que d’être « autonome sur corde » selon le sens courant fédéral, mais qui, par modestie, ne se dit pas « autonome », autre terme qui, dans le jargon SJV, désigne une personne qui maîtrise toutes les situations « ordinaires » mais aussi toutes celles « extraordinaires » ou presque ! )
 
Cette grotte est une « première » pour SJV, qui ne connaît pas la configuration en dehors des topos divers fournis. 
Kiki qui ne peut venir estime que la capacité technique et les forces morales du groupe sont suffisantes pour maintenir l’ expédition moyennant quelques aménagements. 
 
Il est décidé que Mimy, notre expert installateur, passera devant… Normal !
Suivra Tony qui descendra sur les installations et moi qui descendrai en solitaire sur ma propre corde reliée à un sac pendant à ma taille.
Pour ce faire il me suffira de fixer mon unique et premier noeud de Mickey en doublon sur celui de ces messieurs. Et de descendre ensuite en parallèle.
Pour être plus sécurisée et m’éviter de descendre d’une traite si problème, kiki a prévu un mousqueton d’arrêt escamotable sur ma corde tous les 10 mètres. 
Également, il m’est recommandé de poser sur l’installation de Mimy des nœuds de batelier (ou cabestan) afin que je ne pendule pas au fur et à mesure de la descente…et d’éviter le désagrément du « yoyo » du fait de l’élasticité sur grande longueur.
Le fait de descendre en solitaire permet que je puisse être à la hauteur de Tony, ceci afin de nous entraider, notamment pour les décrochages de longe sur les fractionnements…et de veiller l’un sur l’autre dans le maniement des longes.
 
Il est prévu que nous descendrons en 2 heures ce qui nous laissera ensuite le temps d’aller explorer cette grotte réputée et mythique où des ossements de lion et ours des cavernes ont même été retrouvés. 
 
Voilà pour la théorie.
 
En pratique…. 
Nous sommes partis à 7h et arrivés sur place à 10h. 
Nous décidons de trimbaler tout le matériel sans nous équiper jusqu’à l’abri qui recouvre l’entrée. 
Le temps de faire les allers et retours, préparer partiellement le bivouac de nuit, car nous prévoyons une remontée vers 22h et nous savons qu’avec la fatigue la seule bonne idée est de se coucher rapidement !
Nous nous équipons, pause déjeuner vers 11h00 avec dîner prévu dans le bidon. 
Et nous voilà partis par la Porte des Etoiles. 
Ça commence par une échelle fixe raide sans moyen de se longer, ce qui ne me rassure pas vraiment. 
Nous descendons et arrivons rapidement devant un puits étroit, celui où je dois attacher ma corde personnelle. 
Mimy progresse bien pour installer au fur et à mesure et pour nous ça va aussi. 
Tony s’engage dans le puits et je suis derrière sur ma corde. 
Nous arrivons à une pente appelée toboggan, Mimy a mis une corde mais il y a aussi une main courante.
Puis arrive un second puits assez court qui nous amène à un palier…. de la petite sirène. 
Je l’appelle ainsi car un spéléo artiste y a sculpté une sirène dans l’argile, toute jolie. 
À ce Niveau toute l’équipe est OK et la progression se fait bien…
Puis arrive un nouveau puits plus large qui descend sur 30 mètres et où Mimy pose une déviation pour le « couper » et éviter les balancements. 
De mon côté, je pose mes nœuds sur chaque amarrage de Mimy, à l’identique. 
J’ai un avantage comme ça, c’est que je n’ai pas besoin de changer de corde avec des manipulations fatigantes. Tony progresse assez bien aussi et nous nous aidons, plaisantons et comme j’ai un peu de temps, j’en profite pour faire des photos avec mon portable attaché autour du cou et à l’abri dans ma combinaison. 
Nous sommes toujours dans les temps quand nous arrivons à la tyrolienne. 
Ici il ne s’agit pas de simplement installer une poulie et faire Tarzan pour descendre… Non cette tyrolienne est là pour nous permettre de nous maintenir en diagonale dans la descente sur notre corde.
 
Tony y arrivant sur l’équipement posé se retrouve vite à ce niveau. 
Pour ma part, arrivant à la verticale, je dois me tracter sur les cordes pour être dans l’axe. 
J’ai beaucoup de mal mais ça vient. 
Mimy est descendu et Tony doit suivre. 
Il peine alors, et, en voulant l’aider je me mets moi même dans une problématique qui fait qu’au bout d’un moment je me retrouve coincée de toutes parts avec mon descendeur, ma poignée de montée et mon bloqueur… Je ne peux ni monter, ni descendre car, en plus de ça,  impossible d’enlever ma longe courte.
Un vrai « bordel »… Au moins avec toutes ses attaches je ne risque pas de tomber !!! 
 
Voyant que je ne peux m’en sortir seule Mimy est contraint de remonter en longeant la tyrolienne, ce que nous serons sensés faire au retour. 
Au bout d’un bon quart d’heure me voilà enfin libre et je peux descendre la tyrolienne. 
Le pauvre Tony, lui, coincé au bout de sa longe dans le vide ne sent plus ses jambes engourdies par le baudrier. 
Avec ce retard je me trouve dans la même position désagréable. 
 
En effet Mimy doit installer la suite qui est une main courante à l’horizontale dans le vide avec progression sur pédales. Le genre de truc que j’ai toujours détesté dans les accrobranches. 
Vue la fin de progression il est décidé que je finisse ce dernier tronçon sur la corde commune. 
je suis arrivée à la fin de ma première corde qui est raccordée avec une autre mais où il n’est pas techniquement facile de faire la jonction. 
La partie horizontale plein vide nous demande beaucoup de temps à Tony et moi, car pas facile à passer. 
La fatigue aussi commence à se faire sentir alors que nous savons que nous avons une randonnée d’exploration après. 
Nous arrivons enfin en bas dans une grande salle où est aménagé un bivouac avec des couvertures de survie. 
 
Il nous aura fallu 3h30 pour faire la descente au lieu des 2h prévues initialement. 
Nous décidons de nous offrir une pause et de remonter après dîner vers 19h. 
La balade commence… et c’est pas une balade du tout ! 
Une grande galerie avec un plafond en coque de bateau inversé.. Très beau. 
Comme j’ai sorti mon gros appareil photo d’un bidon je prend quelques photos, toutefois la progression est difficile sur un enchevêtrement de pierriers. 
Puis descente sur une corde et ensuite une petite échelle avant d’arrivée sur une main courante sur une pente où il est difficile de poser les pieds de façon stable, puis une montée avec la pédale…. Je commence à peiner sérieusement et surtout je sais qu’il faudra remonter les 100 m déjà descendus. 
Aussi quand je vois qu’après cela le chemin continue d’être en fait un jeu de sauts de puce sur pierrier, j’informe Mimy que je vais attendre leur retour. 
 
Ils décident de continuer un peu… Et j’en profite pour faire une sieste « méditation » dans ce noir absolu où il n’y a aucun bruit, cette grotte étant parfaitement sèche donc sans écoulement d’eau… Ce qui fait qu’il y a peu de concrétions (dans cette zone), car ces beautés-là sont le travail de l’eau !
 
Et les voilà qui reviennent déjà.. Ça m’a paru si court !!!
Nous retournons au camp de base où j’en profite pour enlever mon baudrier et soulager ma vessie… Eh, oui ! Ça, ce n’est pas pratique pour les filles…
Pause dîner dans la bonne humeur, plaisanteries de Tony qui détendent l’atmosphère, un peu dans l’appréhension que nous sommes de devoir remonter. 
Et là,  explication technique de la meilleure façon de procéder par Mimy. 
Notamment pour utiliser les bloqueurs de pied, moyen de remonter comme si nous avions 2 pédales et surtout de tendre la corde pour l’accroche à la poitrine. 
 
Nous avons jusqu’à minuit pour remonter avant que la « vigie » appelle les secours. 
La « vigie » est une personne désignée qui attend le SMS ou l’appel vocal informant que nous sommes sortis. 
 
Je passe la première sur la corde commune. 
J’en profite pour remballer ma corde de descente dans mon sac. 
Quand j’arrive à la jonction horizontale je fais le choix de récupérer ma corde personnelle ce qui me soulage de beaucoup d’efforts et permet à Tony de pouvoir progresser à son rythme.
Pour lui commence une longue traversée du désert car son bloqueur de poitrine accroche mal la corde ce qui fait qu’il redescend les cm gagnés…Grrr !
Il rage et s’énerve ce qui est aussi un bon moyen d’évacuer la pression.
 
Tout va bien pour moi jusqu’au bas de la tyrolienne. 
Je décide de reprendre la corde commune mais j’ai beau tout essayer pas moyen d’aller mettre ma longe sur ma poulie que j’avais laissée en place à la descente. 
Pour Mimy commence un grand moment d’assistance. 
En effet Tony , de son côté,  peine sur la jonction horizontale en plus de ses problèmes de bloqueur. 
Et pour pouvoir nous aider Mimy est obligé d’attendre que Tony soit au moins longé. 
Il le débloque, puis pendant que Tony progresse lentement mais sûrement jusqu’à moi (pendue sur la corde en diagonale et maintenue par ma longe courte, avec heureusement de quoi boire puisque Mimy a posé des bouteilles accrochées aux mousquetons à des endroits stratégiques…(merci Kiki pour ces petits biberons dragonnés amoureusement préparés par anticipation de nos besoins hydriques…). 
Pendant que Tony monte, Mimy démonte le matériel, ayant été décidé d’un commun accord que nous ne redescendrions pas le lendemain.
 
 
Après un temps qui me semble interminable, nous voilà tous les 3 réunis sous la tyrolienne. 
Mimy après maints efforts arrive à m’accrocher à la poulie… Je commence à monter, mais avec la pente, la corde ne veut pas accrocher dans mon bloqueur. 
J’ai à peine fait 3 mètres sur les 12 que je suis épuisée. 
Tony qui en a profité pour faire une micro-sieste au bout de sa longe stresse déjà de devoir faire pareil.
Comme il est possible de monter aussi à la verticale, Mimy décide de me libérer de la poulie, ce qui m’éjecte sur la paroi en face.. Un bleu de plus à ma collection.
Et là,  je peux monter plus facilement. 
Tony s’installe sur la corde de ma descente et nous montons ensemble en parallèle. 
Nous arrivons enfin en haut de la tyrolienne… En 2 heures pour faire 30 m.
 
A partir de là je remonte lentement car fatiguée et parce que le poids de ma corde que je remballe au fur et à mesure dans mon sac, alourdit ma charge et ça se ressent dans mes jambes. 
Et enfin j’arrive à la petite sirène, jamais été aussi contente de trouver cette présence d’argile qui me sourit… 
Je me pose et là encore une attente pour se regrouper.
Pas de difficultés majeures à part le bloqueur de Tony qui le fait rager. 
 
À partir de la il est décidé de changer le plan initial et de tout démonter le soir ce qui nous évitera de remettre tout notre barda mouillé quand même un peu. 
 
Je ne me sens pas la force de continuer à remonter mon sac de corde. 
Tony a déjà le sac de bidons, donc complet. 
Mimy le charge avec tous les mousquetons ce qui tout en étant lourd reste supportable, et lui se chargera de mon sac plus le sien qui porte toutes les cordes qu’il a démontées. 
Là,  j’avoue qu’il m’impressionne à un degré encore supplémentaire par rapport à tout ce qu’il fait depuis le départ. 
Car, physiquement, il est tout fin, et se retrouve avec des sacs qui lui mettent un bon 25 kg de lest, plus tout ce qu’il doit encore démonter.
Il est 22 h 45, le temps passe et nous devons nous dépêcher pour arriver avant minuit. 
Tony monte et je le suis sur l’autre corde. 
Il nous reste le petit puits de 7 m, le toboggan et le dernier puits de 5 mètres avant la fin de parcours jusqu’à l’échelle… Tony y arrive le 1er et se met vite au sec car il est trempé de sueur, autant d’efforts que de stress.
 
À 23h45 je suis dehors et me précipite sur le téléphone pour dire que tout va bien à Kiki et à mon Gigi qui n’est pas venu et s’inquiète aussi beaucoup.
 
Mimy nous rejoint vers 23h55 en ayant tout démonté, trop fort ce gars… Je m’incline bien bas et encore un grand merci pour toute cette expédition dans les « étoiles souterraines ». 
Nous nous changeons sous notre abri après avoir fermé la trappe d’accès. 
Dehors il pleut des cordes et, là encore, une complication : l’abri prend l’eau…!
Nous voilà à installer une couverture de survie au-dessus de nos têtes avec une pente pour que l’eau coule dans un seau… Une bonne soupe encore chaude du thermos, quelques chaufferettes sous les pieds et nous nous glissons dans nos duvets. 
Heureusement, j’ai une combinaison en polaire avec ouverture spéciale qui m’évite de me mettre à poil pour mes besoins naturels…un ange a dû veiller sur moi…Besoins que je fais dans un seau car pas le courage d’aller me tremper dehors… En bivouac même si les équipiers se retournent respectueusement, il ne faut pas être trop « chinchin » ou pudique !! 😝
 
Et enfin, couchée… C’est un matelas un peu dur mais tellement bon, il est 1h du matin.. Je suis claquée et mes coéquipiers tout autant. 
Bercée par les gouttes de pluie qui tombent sur les tôles je sombre dans le sommeil en sentant dans mon corps une sensation de balancement comme si j’étais encore au bout de ma corde. 
 
Dimanche… Je me lève à 7h45, besoin de me lever pour la nature… Il pleut, tout est humide. 
Je commence par mon reste de soupe encore tiède et remballe mon couchage. 
Les amis dorment encore… Puis au fil de mes gesticulations finissent par émerger. 
Il nous faut ranger tout le bazar posé en vrac… Comme nous formons une bonne équipe, cela va assez vite. 
Reste ensuite à tout porter jusqu’à la ferme à côté (400 m, c’est long quand on est chargé). 
Tony est un bon sherpa et il fait 3 allers et retours pendant que Mimy descend à 20 minutes de là pour chercher la voiture et que je fais difficilement un aller avec ma charge… Et c’est le départ pour rentrer. 
Nous sommes fatigués mais quand même très heureux de notre « exploit ». 
Tony car c’est seulement sa 2 ème vraie spéléo en 2 ans (sa spécialité étant davantage l’exploration de carrières)… Bravo car beaucoup de techniques qu’il ne maîtrisait pas forcément ! 
Mimy, car trimballer 2 personnes pas spécialement expérimentées et surtout seul sur un site qu’il ne connaissait absolument pas sur le terrain, est quand même une sacrée expérience. 
Coco car même si j’en suis à ma 6 ème grotte en 1 an seulement de spéléo, plus quelques entraînements en carrière, il a fallu que je me gère en autonomie pour la 1ère fois et que je serve d’assistance à Tony pour soulager Mimy. 
 
Merveilleuse expérience technique et humaine.
Grotte à refaire dans de bonnes conditions car, du coup, nous sommes remontés un peu frustrés de n’avoir pu explorer et découvrir ses merveilles d’étoiles souterraines…ce n’est que partie remise !
Perspectives prometteuses que représente désormais la Grotte de Neuvon !

 

LA RÉUSSITE…

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