Promenade subterranologique 253

Promenade subterranologique 253

24 novembre 2019 carrières diverses Spéléologie Urbex 0

Promenade subterranologique    253

La subterranologie est une activité de pleine nature qui est orientée très majoritairement vers l’étude des milieux souterrains artificiels, souterrains au sens strict, carrières, aqueducs, égouts, mines…
La visite d’une de ces cavités se fait donc dans le respect de divers principes, à l’image des urbexeurs sérieux, pas d’effraction, pas de violation de domicile, pas de dégradation, pas d' »emprunt », et avec une démarche scientifique, ou, à tout le moins, rationnelle, d’observation, d’analyse, de réflexion.
Ce n’est pas une simple satisfaction de curiosité, ni une épreuve sportive même s’il peut arriver que la visite soit fatigante et exige des techniques sportives.
Voici le témoignage d’un visiteur subterranologue à l’occasion d’une excursion au sein d’une ancienne carrière, libre d’accès.

« Je me promenais dans la ville, lorsque je vis une palissade blanche tout de bardages bâtie…et, semblant m’inviter, un large passage clairement découpé de 2 mètres de largeur, qui n’était flanqué d’aucun panonceau porteur d’une quelconque « interdiction d’entrer, » ni pancarte avertissant d’un danger possible. Un chemin pédestre est largement pratiqué dans ce qui apparaît comme un bois fourni, abondamment bordé de ronces, et malheureusement garni de détritus.
Mais cela ne dure qu’un court passage, la suite du cheminement laissant découvrir un milieu végétal à peu  près respecté, selon un tracé sinueux.

Je découvre deux petits édicules sur ma gauche, chacun encadrant un puits d’aérage de carrière, à première vue, garni de lierres vigoureux.
Un peu plus loin, une vilaine construction de tôles et de bastaings dressés, à demi-détruite, cerne vaguement une immense excavation, au ras du chemin…
Je m’approche prudemment, et devine que cela borde un effondrement…plus de doute, il s’agit bien d’une carrière ci-dessous, et je suis là devant ce qui n’est pas du tout un fontis, mais bien un brutal accident de terrain.
Le ciel de carrière a été englouti par la galerie sous-jacente, et c’est désormais un véritable petit gouffre de plusieurs mètres de diamètre et au moins dix de profondeur que j’ai devant mes pieds.
Un rapide coup d’œil en biais révèle que le bord piétonnier est un surplomb relativement mince…je suis là en présence d’un piège sournois pour qui s’approcherait trop de la lèvre de ce puits. Je distingue nettement dans le tumulus d’effondrement des éléments de barricades, bardage ou grilles montées, qui semblent y avoir été précipités volontairement…sans doute par des gens qui ne voulaient pas que cet orifice fût masqué.

Restant perplexe quant à la dangerosité flagrante de cet endroit, dont l’accès général n’est défendu par rien, et pourtant à proximité de cités populeuses, je poursuis ma promenade improvisée et mes pas me guident sur une sente qui part sur la droite et descend dans un ravinement tapissé de lierre et encombré de troncs d’arbres morts aisément enjambés.
J’aperçois alors une sorte de tourelle maçonnée, et, m’en approchant, je découvre à son pied un profond fossé menant à une ouverture béante déchirant le flanc de moellons.
L’affaire est tentante…bien que je me méfie d’un surplomb menaçant, constitué d’un banc de gypse très fracturé, et de ce  que la paroi de la tourelle soit elle-même quelque peu lézardée…
Un amas de vieilles ferrailles aux trois quart enfouies contient des terres argileuses collantes, et il faut se contorsionner pour espérer passer par l’orifice qui donne sur une suite très pentue et glissante…et sombre.
J’extrais une lampe frontale de mon havresac, toujours prête à explorer les recoins ou à permettre des activités nocturnes si le temps passe trop vite…


Je vérifie que je dispose bien d’une seconde lampe à main fonctionnelle, en cas de panne de la première, et d’un peu d’eau…et même d’une ou deux barres énergétiques !
Je ne suis pas vraiment équipé pour une exploration souterraine qui s’annonce, je ne pourrais pas aller bien loin le cas échéant…mais qu’à cela ne tienne…je m’immisce dans ce passage délicat.
Un boyau pentu donne sur un talus poudreux…et me voilà effectivement dans une carrière. Au vu de la hauteur des galeries et de leur section presque rectangulaire, il paraît clair qu’il s’agit d’une carrière de gypse de la seconde masse, ce qui est rapidement corroboré par la présence de petits bancs décimétriques de cristaux fibreux qui brillent dans le faisceau lumineux.

Je m’aperçois alors que la lumière du jour perce largement à une vingtaine de mètres de là…elle est tout simplement issue de l’effondrement rencontré précédemment ! Plutôt impressionnant vu par en-dessous, avec un cône d’éboulis énorme, des lèvres peu rassurantes, et bien sûr, une collection d’objets divers balancés là.
Faisant le tour de cet accident local, je rencontre…un Vélib !!!
Quelqu’un a précipité là cet engin, sans autre raison que de s’en amuser bêtement, et je constate que des blocs de roche ont chu depuis sur les roues, prouvant bien l’instabilité permanente de la voûte.
La suite m’amène à franchir un mur de carreaux de plâtre, et je reconnais bien là des pratiques de champignonnistes qui visent à cloisonner les carrières reconverties pour leur mycoculture.


De fait, quelques décamètres plus avant, je peux voir les alignements de centaines de sacs de fumier-terreau amendé de craon, posés à même le sol avec le double cheminement des ouvriers permettant la récolte des agarics, de gauche comme de droite.
Je rencontre alors de grandes inscriptions chiffrées tracées à la bombe à peinture rose, posant côte à côte le « 1 » et le « 72 »…ce que l’on peut aisément considérer comme les deux extrémités d’un circuit balisé sans grand risque d’erreur !
J’avais commencé par édifier des cairns, « au cas où » et dès le départ, mais je me dis que sous réserve d’un contrôle permanent, le balisage « rose » sera peut-être suffisamment fiable. Il ressemble en effet au marquage des agents de l’I.G.C. (?)


L’exploration commence alors par quelques trouvailles d’outils et appareils dégradés, sorte de brouette à deux roues et levier de déchargement, carriole bâchée à trois roues, pelle, fourche, arrosoir….


Le cavage a une hauteur moyenne de 5 à 6 mètres, parfois développé sur deux étages, et on n’y trouve que peu de boisages encore en place.
Beaucoup de poutres de chênes sont au sol, la plupart très dégradées, quelques-unes présentent de surprenantes colonies de moisissures, tantôt blanches, tantôt jaune vif, étendues sur plusieurs mètres…


Le balisage est très bien fait, presque trop avec ces énormes chiffres qui auraient pu être beaucoup plus petits sans perdre d’efficacité pour autant et il faut en sortir de temps à autre à la faveur de diverticules pour bien se rendre compte de la véritable étendue des ouvrages.
Je suis surpris qu’une carrière aussi facilement accessible (au moins 5 entrées encore praticables) ne soit pas « taguée »…et si l’on y trouve çà et là des tas d’ordures ces derniers datent de plusieurs décennies dans 95% des cas.
Je constate que plusieurs ex-entrées ou puits ont été comblés soit pas gravité soit par pousseur, ou encore que certains passages ont été victimes d’éboulements.

 


L’un d’eux, encore bien visible et arpentable sur environ 40 mètres, livre les marques d’un travail d’experts en tunnels de l’époque de l’activité industrielle.
Une partie, la plus ancienne, entièrement réalisée en moellons montés au mortier de plâtre est d’une régularité impressionnante, et ne présente aucune fissure notoire…en revanche, une déformation de l’arc plein cintre sous la poussée des roches déstabilisées laisse craindre l’affaissement prochain de la voûte…


Une seconde partie, postérieurement construite, a fait appel à une technique de confortement à base de rails Decauville cintrés et solidarisés par des éclisses, supportant des longerons et des traverses métalliques…cette partie est extrêmement dégradée, fragilisée par la rupture de plusieurs arcs, et je me garde bien de toucher quoi que ce soit ainsi que de rester sur place !
Une troisième partie, encore plus récente, est, elle, réalisée par une double voûte constituée d’éléments en béton moulé, autobloquants, très bien conservée.
Je pense identifier des supports muraux ayant servi de vestiaire des ouvriers…
Plus loin, après avoir parcouru quelques zones garnies d’éboulis mineurs, je déniche un quartier où il y a deux niveaux exploitation, quelques hagues, et ce qui sera l’unique chauve-souris du jour…un Murin.
Je suis au repère 27…


Pas bien loin se trouve un grand réservoir façonné par édification de deux murs élevés entre des piliers tournés.
Il est alimenté par un captage plafonnier au débouché d’un puits d’aérage aux trois quarts obstrué en surface. Il y a là aussi un entassement de débris, mais bien moins de détritus de consommation que de morceaux de roche tombés des parois. Je me dis que j’essaierai de trouver où il est une fois ressorti de là !  Le réservoir est repéré 32…


Le parcours devient ensuite plus accidenté car il y a par là une zone visiblement plus fragile et pas mal de décollements, dont certains permettent de bien voir la stratification notamment celle les couches marneuses qui créent des niveaux de faiblesse.

En plus du puits arrosé déjà rencontré, je passerai par au moins quatre grands éviers en mortier armé, encore garnis de leurs robinets historiques…ce qui m’étonne tout en me faisant bien plaisir que ces éléments soient respectés.

 

 

Je découvre un bout de tunnel très solide, en béton armé, qui  semble ne donner sur rien ni d’un côté ni de l’autre…une dizaine de mètres…
Je me dis que cela servait peut-être de soute à explosifs du temps des carriers (???). Il y a encore pas mal de vieilles poutres en décomposition et de larges développements de moisissures, et deux autres puits avec pour particularité qu’ils ne sont pas directs…chacun d’eux est doté d’une chicane formant palier intermédiaire, dont l’intérêt ne saute pas aux yeux…en tout cas pas aux miens !

 

Au repère 50, une petite galerie en impasse et haut placée livre un chiffrage historique dont un « 15 » très soigné dans une écriture manuelle au « bleu » du siècle passé, très bien conservé.
Je remarque aussi un ancien marquage vert-jaune en grandes lettres, mais je ne me concentrerai pas sur lui, malgré l’amusement et le développement de l’esprit d’observation que représente la « traque » des balises anciennes…qui apportent assez souvent de bonnes surprises, car pour les (re)trouver toutes, il faut souvent sillonner les galeries en tous sens ce qui multiplie les points de vue  et les trouvailles telles des ensembles de godets vides à « blanc » de champignon, ou un ancien véhicule à moteur « Bedford », au niveau du repère 77…


Or ce repère-là est l’avant-dernier de la série et semble ne déboucher sur rien…en effet, lorsque l’on arrive sur le 72, on retrouve les 1,2 ,3 , on voit le jour, et on pense que le circuit est terminé. Les repères 73 à 78 sont en effet une continuité qui fait rebrousser chemin, avec une flèche indicatrice de « sortie » qui tourne le dos à cette sortie…Du coup, la zone 72/78 tend à être négligée !
Il va me falloir penser à ressortir d’ici, j’y suis depuis 3 heures…que le temps passe vite dans ces circonstances ! Retrouver l’issue de fut pas difficile, entre le grand trou donnant sur le ciel, les cairns initiaux et un petit air frais qui se glisse par le boyau remontant.


La petite martelette emportée avec moi me facilitera la tâche en creusant des marches  dans la terre meuble…il n’y a plus qu’à me faufiler dans la passe d’entrée…me méfier à nouveau de ce méchant surplomb instable…me hisser hors du ravin…faire quelques pas dans les herbes folles et les ronciers sous une pluie fine.
Et voilà une jolie promenade sous terre à remonter le passé, à fréquenter ces lieux où le travail fut si dur et si dangereux, à s’approcher des éléments naturels des temps immémoriaux comme de ceux, opportunistes, qui se développent au présent…et faire un peu de sport de loisir !

On a là les principaux ingrédients de la subterranologie, qui marie un peu  d’aventure, un peu de risque, un peu d’histoire, un peu de sciences naturelles, un peu de technique, un peu de poésie, un peu de photographie…
De quoi vivre d’agréables moments, à partager, de préférence. !

 

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