Nocturne randonnée 246

Nocturne randonnée 246

6 novembre 2019 Randonnée 0

Nocturne randonnée

Dans le cadre d’un « programme » plurisportif applicable à un séjour de 5 à 6 jours il arrive souvent que des décalages horaires puissent survenir voire des remaniements pour cause d’intempéries.
Ceci peut amener des situations, par définition imprévues, qui peuvent aller de la cocasserie à l’horreur, mais dont il faut bien s’accommoder !
Si SJV a connu des randonnées nocturnes organisées comme telles, notamment en forêt de Fontainebleau, pour entraînement ou acclimatation (Treks en pays très nordiques), il peut arriver qu’elles soient purement conjoncturelles…
Voici un récit de l’une d’entre elles, provoquée par une suite de « retards », empêchements, changement d’heure…qui montre que l’imprévu peut aussi être constructif, formateur, et savouré !

Le parcours prévu doit démarrer vers 15 h, et compte 3,5 heures de marche en montagne pour déniveler environ 1000 m, sur un parcours d’une longueur approximative de 3 ou 4 km. Il emprunte un passage quelque peu vertigineux sur un bon sentier doté de mains courantes lorsque nécessaire.
Divers événements mineurs provoquent un départ à 16 h passées et le changement d’heure semestriel récent non anticipé fait qu’il fera nuit vers 18 h et non 19. Il y aura donc 1,5 heure de marche crépusculaire ou nocturne, au minimum.
Des modifications techniques apportées par les autorités locales rendent trop périlleux de passer par la voie prévue et contraignent à effectuer un détour non négligeable qui, de jour, est censé engendrer 3/4 d’heure supplémentaires…et de nuit, probablement 1 heure. On passe à 2,5 heures de marche dès la tombée de la nuit…c’est l’estimation que nous en faisons.

Il en faut bien plus pour décourager l’équipe, qui part joyeusement, sur un chemin très facile, ne dénivelant que 250 m sur près de 5 km…quelques photos et pauses diverses plus tard, le temps se couvre et un crachin reste suspendu dans la basse atmosphère, du coup la luminosité s’affaiblit encore davantage, et on s’installe dans la pénombre dès 17h30.
Un passage un peu plus pentu ralentit les randonneurs chargés et, parvenue à l’orée d’une épaisse futaie, l’équipe entame une marche quasi-nocturne.


Curieusement, personne ne réclame d’éclairage.
On marche, et bien que partiellement enfoui sous d’épaisses couches de feuilles mortes, le sentier se laisse deviner.
Bientôt, c’est la nuit, sans lune, et seule une vague luminosité émanant de la base des nuages reflétant les lointaines illuminations urbaines permet encore de discerner les formes au sol et les silhouettes des arbres.
Les marcheurs découvrent ou retrouvent cette formidable adaptation à la vision crépusculaire dont les êtres humains disposent, certes bien moindre que diverses espèces animales, mais encore suffisante pour se mouvoir dans de telles conditions. Le rythme reste relativement soutenu, ne connaissant des ralentissements notoires que lors de passages boueux où le tapis de feuilles donne des sensations d’hydroglisseur, dans les zones rocailleuses où il faut être prudent avec les roches instables, ou encore au passage des torrents soit sur des blocs de calcaire bancals, soit sur des plaques de schiste traîtres, soit encore sur une passerelle dont quelques planches sont absentes !

Dans cette ambiance que seul le bruissement des feuillages épars sous les pas hasardeux vient sonoriser, les imaginations peuvent, elles, se mettre à courir…Qui se représente des créatures fantastiques dans les moutonnements noirâtres des brouillards mouvants, qui s’inquiète de ce qui semble se faufiler auprès de lui et n’est qu’un paquet de boue feuillée qui roule dans la pente, qui se voit rater le bon pas et dévaler le ravin jusqu’aux terribles falaises juste en contrebas des taillis…


Les ténèbres ramènent les humains à leur humilité, petits êtres finalement bien fragiles dès qu’ils sont immergés dans un milieu inhabituel, voire hostile ou du moins qu’ils considèrent comme tel. 
Il y a ceux qui parlent sans arrêt pour meubler un silence qu’ils trouvent trop vide, c’est à dire trop ouvert à tout.
Ceux qui, à l’inverse, se réfugient dans un mutisme et s’obnubilent à mettre un pied devant l’autre dans le faible discernement qu’ils ont des pas  celui ou celle qui les précèdent…
Ceux qui sifflent ou chantent, pour ne pas penser ou peut-être conjurer on ne sait quel mauvais esprit…
Et aussi ceux qui se sentent comme des poissons dans l’eau, pour lesquels l’opacité est une sorte d’écran protecteur, ou qui voient en elle un espace de liberté, pas vu, pas connu, pas su, pas pris…
Ou encore ceux qui se tournent des films ou s’écrivent des romans, que le mystère, issu des noirs et des gris, inspire.
Les couleurs se décolorent, les formes se déforment, les distances s’étirent ou se rétractent, le temps ne se compte plus car on ne voit pas devant, pas plus que derrière, avenir et passé semblent concentrés sur le seul présent, l’espace-temps s’est réduit à la bulle grisâtre et brumeuse que chacun promène avec lui…
Et bien d’autres encore que la nuit forestière peut révéler à eux-mêmes…

Mais personne ne réclame d’éclairage…
L’équipe parvient à un alpage, à environ 1400 m. L’obscurité est à présent à son maximum, il devient difficile de voir les bouts des chaussures. Il est envisagé un instant de poser le camp à cet endroit, facile, dégagé, point d’eau potable…
La concertation aboutit à décider de poursuivre et d’atteindre le but fixé : un lac de 10 hectares à 2000 mètres. 
La nature du terrain et le tracé du sentier, sentier de montagne désormais, imposent maintenant de se doter de lampes frontales pour des raisons sécuritaires mais aussi par souci d’efficacité.
Dès lors, le rythme va s’abaisser sensiblement. L’éclairage a pour vertu de faire perdre l’appréciation de ce qui reste vraiment à arpenter…Il crée une zone de vision privilégiée sur une courte distance et fait perdre celle du reste !


La marche tend à devenir automatique, on ne regarde plus guère que les pierres du chemin et les talons du précédent, sauf le premier bien sûr qui s’applique plutôt à ne pas s’égarer et à repérer les rares balises.
Tout cela soude l’équipe, petit quatuor humain dans l’immensité minérale  elle-même enveloppée dans le noir manteau de la nuit que seules de rares étoiles ponctuent de leur étincelle vacillante.
On se suit, on s’écoute, on s’encourage, on plaisante, on partage l’eau, on équilibre les charges des sacs à dos, on ne veut pas céder à la facilité de planter une tente au plus près…oui, on arrivera là-haut, oui on réussira !
La journée ayant été déjà relativement riche d’activités physiques, et la nuit un peu écourtée, les ressources commencent à faiblir…le pas plus lent devient lourd et se raccourcit, les mini-pauses se multiplient, le temps passe…déjà 20 heures.
La partie peu pentue des alpages inférieurs aboutit alors au grand chaos rocheux qu’il reste à franchir pour atteindre l’alpage supérieur…on est à 1700 m. Encore une bonne heure…il est presque 20h30.


La pente se durcit, les cailloutis roulent, un contraste sonore s’établit entre le grouillement des huit pieds qui choquent le sol irrégulier et le vide sourd  des arrêts brusques que marquent tel ou telle pour reprendre son souffle ou pour mieux poser le pas suivant. Les corps souffrent. Les âmes peinent. On guette les repères qui marquent l’avancée et laissent espérer l’objectif.
Telle arche de schiste, tel cairn géant, telle grande dalle, tel monstrueux amas de rochers, tel torrent qui révèlent tous les mètres d’altitude gagnés, qui semblent dire  » c’est bientôt… », « ce n’est plus bien loin… », un repère appelle le suivant, qui en appelle un autre…
On cherche une distraction, on boit un coup, on papote, on évalue le temps restant à marcher, on se perd en conjectures…il est presque 21 h…à 1870 m ou pas bien loin de ça.
Ah ! Voilà enfin les fameux « très gros blocs » dont on entend parler depuis un moment et qui sont censés déterminer la presque fin de la côte avant le replat des refuges…


Un regain d’énergie se fait sentir, et quelques minutes plus tard, oui, les voici les bâtiments attendus.
En principe ils ne sont que les prémices de l’arrivée au lac ! Mais il semble que l’équipe n’est pas encline à forcer plus avant…
Les lieux, connus de certains, contiennent un refuge très sommaire, une sorte de bergerie ancienne, avec les moutons au rez-de-chaussée, et le berger sur un étage de planches, censé profiter de la chaleur des bestiaux (et de leurs odeurs, en prime).
C’est vite trouvé…et déjà bienvenu. Plus facile à investir et plus vaste qu’une petite tente.
Mais on sait qu’il doit y avoir mieux…car déjà connu de par le passé. Est-ce encore là et accessible ?
Quelques minutes de recherche…et oui, une porte finit par s’ouvrir dans un grenier sans avoir à la forcer : le voici, le vrai refuge, celui où on trouve abri et confort minimal. En l’occurrence, très beau confort en ce que les matelas à disposition sont presque neufs et d’une épaisseur à faire rêver tout randonneur !
Mais on ne s’arrêtera pas là…L’instinct pousse à découvrir la trappe secrète qui permet d’aller au rez-de-chaussée…où encore plus de confort et de place sont offerts.


Toujours des matelas, mais ici, on tient debout partout, avec table, bancs, étagères, et même divers ingrédients alimentaires de fortune et des ustensiles de cuisine pour les cas « désespérés », dont nous ne relevons heureusement pas.
L’équipe à nouveau réunie voit le moral général remonter la pente bien plus vite que les corps ont monté la leur, et le dîner à la chandelle rassérénera plus encore ceux qui baignaient dans une sorte de torpeur. Il est 21h30. On a mis 5 heures pour arriver là, au lieu des 3,5 théoriques !
Les voix s’égayent, les plaisanteries fleurissent, les rires reviennent…il n’y a plus qu’à faire une bonne nuitée par là-dessus !

Et dans la douce tiédeur du duvet, on repense à cette soirée particulière…randonnée nocturne imprévue.
L’adaptation remarquable de chacun. La positivité collective. La solidarité et l’entraide. La réussite. Celle de toutes et tous grâce à chacune et chacun. Comment tourner en encouragement chaque petit signe que le milieu naturel apporte à nos sens.

Et l’anecdote…il y en a presque toujours une…
Voilà que pour accéder à l’étage, qui est sous forme de combles bas, il faut emprunter une petite échelle de bois, amovible, pour passer par la trappe « secrète » qui ne l’est pas du bas…Cette échelle, posée sur un sol très lisse va se dérober sous le poids d’une équipière parvenue à mi-hauteur et qui se retrouvera suspendue par les aisselles !
Un petit bobo au petit doigt un peu brutalisé par le geste réflexe, et quelques secondes de stress !
Et ce sera le rétablissement avant un second essai…qui sera couronné de succès cette fois !

Enfin on peut dormir !!! Il est 22 heures passées.

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