Les biofilms des parois et ciels de grotte 690

Les biofilms des parois et ciels de grotte 690

27 septembre 2023 Grottes Spéléologie 0

Les biofilms des parois et ciels de grotte      690

Lors d’une visite soignée et soigneuse de la Grotte du Lion, au pied des falaises de Jobourg (Cotentin), une garniture pariétale remarquable peut être observée sur plusieurs décamètres carrés, moyennant un éclairage car cela se situe dans une salle où la lumière du jour ne parvient qu’à peine, insuffisamment pour autoriser la vision humaine.
Cette garniture est d’une couleur d’or, plus ou moins verdâtre selon le spectre lumineux des éclairages « blancs », intensément couverte d’une condensation aqueuse qui joue un rôle catadioptrique du plus bel effet.
De nombreuses hypothèses ont pu être émises quant à la nature de ce film pariétal et zénithal, certaines farfelues, d’autres au moins en apparence plausibles, et parmi ces dernières, nous présentons ici (troisième paragraphe du texte) celle qui semble la plus vraisemblable, probable, car fruit d’un travail de collecte, d’analyse, de recherche, réalisé dans d’autres grottes et que nous pensons extrapolable à la Grotte du Lion.

Mais bien sûr, seul un travail de la même qualité qui serait mené dans cette dernière grotte pourrait permettre d’assurer qu’il s’agit des mêmes éléments biologiques. Voici donc l’exposé de cette recherche, dont les auteurs ont bien voulu donner l’autorisation de publication dans notre site.

Contribution à la connaissance des biofilms microbiens pariétaux de quelques cavités varoises.
Par Corine et Yvan MARTIN, Jean-Luc LAMOUROUX du Groupe Spéléologique Ollioulais, 83210 Ollioules.

Les micro-organismes sont omniprésents sous terre, dans les poussières de l’air, les eaux, les argiles,
sur les parois, sur les concrétions, dans la porosité des roches… Agents essentiels de la circulation de la
matière (décomposition et minéralisation des déchets organiques, participation à la nutrition des
protozoaires et des invertébrés mangeurs d’argile…), ils sont aussi responsables de diverses
biosynthèses (humus, fixation de l’azote, production de vitamines, d’antibiotiques…) et jouent un rôle
écologique voire minéralogique (dépôts, karstogénèse) non négligeable.
Ces micro-organismes, bactéries, micro-algues, moisissures, peuvent former des biofilms de
dimensions très variables, ils sont visibles par les touches de couleur qu’ils apportent aux parois et
voûtes. Ils participent à l’altération des roches. A ce jour, peu d’études concernent cet aspect de la
biospéléologie, études surtout en relation avec les problèmes de dégradation des grottes ornées
(Barriquand et al, 2021).
A l’occasion de plusieurs sorties spéléologiques, nous avons tenté d’identifier les organismes
responsables de certains biofilms. Nos observations ont concerné trois types de formations rencontrées
dans différentes conditions de pénétration de la lumière (porches d’entrées, zones de pénombre plus ou
moins marquée, zones obscures dans le noir absolu) et choisies de par leurs colorations.

1. Les formations de biofilms verts.
Présents dans la plupart des grottes visitées, ils recouvrent des surfaces plus ou moins étendues dans
les entrées et les zones de pénombre (photo n° 1)


                                                     Photo n°1: « biofilm vert » dans l’entrée de la grotte du Forgeron (massif du Gros Cerveau).

Les macro-photos réalisées sur place révèlent un biofilm abondant (photo 2), dont l’agrandissement
montre des structures caractéristiques des mousses (photo 3).


                                                                                          Photo n°2 : macro : biofilm à la grotte du Forgeron

 


                                                                                  Photo n°3 : agrandissement du biofilm (grotte du Forgeron).

Ces bryophytes colonisent des milieux très inhospitaliers avec une très forte résistance à la
dessiccation car capables de survivre plusieurs mois à l’état déshydratés !

2. Les biofilms gris-bleus (photo n°4)


                                                                        Photo n° 4 : biofilms gris-bleu à la grotte des Rampins (Méounes).

Également présents dans les zones d’entrées et intermédiaires de plusieurs cavités varoises, les macro-
photos montrent un enchevêtrement de filaments gris bleutés (photo 5).


                                                 Photo n° 5 . Agrandissement du biofilm bleu à la grotte du Forgeron (massif du Gros Cerveau).

A l’examen microscopique, on observe un feutrage de gros filaments bleutés, montrant quelquefois
des rétrécissements. A plus fort grossissement (x 1000), il apparait clairement des structures typiques
des cyanobactéries du genre Scytonema, avec une gaine bleue-verte épaisse recouvrant un « trichome »
vert transparent comportant des granulations plus foncées (fig. 1).


                                                                              Figure 1. Scytonema julianum (d’après Couté et Perrette, 2011)

Ces cyanobactéries, autrefois appelées cyanophycées ou algues bleues, sont des bactéries
photosynthétiques très ubiquistes et très résistantes nécessitant cependant de la lumière, même
atténuée, pour pouvoir proliférer. Le genre Scytonema a déjà été signalé sur les parois de grottes
(Couté et Perrette, 2011). Lopez et Marcou (Faune souterraine des grottes de la garrigue
languedocienne) considèrent que leurs échantillons appartiennent à l’espèce S. julianum.

3. Les biofilms jaunes
Rencontrés seulement dans certaines cavités dans la zone d’obscurité complète, il ne peut s’agir
d’organismes photosynthétiques. On peut en observer deux formes :
– un aspect de biofilm jaunâtre, semblant pulvérulent comme du pollen (photo 6);


                                                                                            Photo n°6. « Poudre d’or » à la grotte du Forgeron

– une forme beaucoup plus brillante, souvent étincelante formant des biofilms d’or ou d’argent,
notamment en présence d’une forte humidité pariétale (photo 7).


                                                                                            Photo n°7. Biofilms jaunes à la grotte de Truébis

Cet aspect présente des surfaces de colonisation importantes dans la grotte de Truébis (Solliès-
Toucas), notamment après une crue, localisées à quelques dizaines de mètres de l’entrée.
Les macro-photos réalisées in situ ne permettent pas de conclure quant à la nature des structures
observées, d’un jaune brillant (photo 8).


                                                                           Photo n°8 . Macro-photos des Biofilms jaunes à la grotte de Truébis

L’examen microscopique montre l’existence simultanée de plusieurs éléments :
– des amas jaunâtres peu organisés, comportant quelquefois des filaments et des bactéries en bâtonnets
(bacilles) assez gros (10 x 4 μm), mobiles, semblant sortir des amas;
– des « boules » d’une couleur orange plus ou moins foncée, d’environ 20 μm de diamètre dans ces
amas, avec des granulations internes;
– des éléments sphériques jaune vif d’environ 50 μm comportant là aussi des granulations internes.
Si la présence de rares filaments ne permet pas d’exclure l’hypothèse qu’il s’agirait d’actinobactéries,
ces structures morphologiques et leurs tailles suggèrent qu’il pourrait s’agir des caractéristiques de
différents stades observés dans les cycles de développement des colonies de myxobactéries.
En effet, les cellules de ces micro-organismes sont souvent enchevêtrées en amas. En général,
elles sont couvertes par une matrice extra cellulaire formée exopolysaccharides et de
protéines facilitant la cohésion et la formation d’unités de fructification Lorsque la nourriture
se raréfie ou en période de sècheresse, les cellules commencent à prendre une forme
végétative de type bacilles et se rassemblent pour former une structure agrégée nommée corps
de fructification. Dans ceux ci, les cellules en bâtonnets présentes se différencient en boules
sphériques voire ovoïdes à parois épaisses, résistant à la chaleur, à la dessiccation, aux U.V, à
la privation de nourriture…appelées myxospores.
Quand les conditions redeviennent favorables, ces « spores » germent et se retransforment en
bacilles mobiles. Ce cycle est bien résumé dans la figure 2 ci-dessous empruntée à Munoz-
Dorado et al, 2016, concernant l’espèce Myxococcus xanthus.


                                                           Figure 2. Cycle multicellulaire de M.xanthus (d’après Munoz-Dorado et al, 2016)

A. Croissance végétative en présence de nutriments-proies (bactéries). Les cellules, bâtonnets
mobiles, se rassemblent en essaims pour lyser les proies.
B.En conditions de stress, les cellules se rassemblent pour former des corps de fructification
macroscopiques (mm) emplis de myxospores résistants. Ils sont entourés de deux différentes
sub-populations de cellules : une population monocouche périphérique non reproductive
(bâtonnets jaunes) et des cellules qui vont s’autolyser (jaunes marrons). Les myxospores
pourront germer en conditions favorables.
Ces colonies de bactéries sont capables de retenir des gouttes d’eau qui réfléchissent la lumière
(Pfendler & Barriquand 2021).
Si l’hypothèse myxobactéries nous paraît la plus plausible en l’état de nos observations, on ne peut
conclure quant à l’appartenance taxonomique des éléments observés sans examens complémentaires.
Quoi qu’il en soit, ce type de peuplement parait s’installer dans des zones de transition
climatiques avec présence de films d’eau liés à des phénomènes de condensation (Barriquand
et al, 2021), ce qui est bien le cas à la grotte de Truébis surtout après une crue.Nous avons
retrouvé ces biofilms jaunes dans d’autres cavités varoises, à la baume de Lume à Siou-Blanc,
à celle du Forgeron à Sanary/mer mais aussi hors département (évent de Peyrejal en Ardèche,
grotte de la Coronelle proche du gouffre de Cabrespine dans l’Aude…).
Cependant, contrairement aux biofilms verts, très répandus, ce type de peuplement n’est
présent que dans un petit nombre de cavités dans le Var et seulement dans certaines zones des
grottes concernées où les conditions climatiques locales permettent l’installation de ces micro-
organismes.
Par exemple à Truébis, on trouve ces biofilms seulement à partir du confluent de la galerie du
trop-plein et de celle de la sortie (figure 3), avec une colonisation par taches sur quelques
mètres en direction de la salle de la strate mais jamais au delà ni dans le reste de la grotte.


                                                                 Figure 3. Topographie de la grotte de Truébis (Fichier des Cavités du Var).

Nous tenterons de vérifier ce qu’il en est dans d’autres grottes du département.

Références:
– Barriquand et al, 2021. Biofilms et grottes. Un monde méconnu et de nombreuses
perspectives de recherche. BioAdh 2021
– Couté et Perrette, 2011. Inventaire des micro-algues dulçaquicoles dans le bois de Païolive.
Rapport, 90 p.
– Munoz-Dorado et al, 2016. Myxobacteria : moving, killing, feeding and surviving together.
Frontiers in microbiology, May 2016, vol. 7, article 781.
– Pfendler & Barriquand, 2021 : Assessment of colored bacterial colonies on Azé and Blanot
caves limestone walls
https://uis2021.sciencesconf.org/data/pages/ONLINE2021_SYMPOSIUM_04.pdf
– Fichier des cavités du Var (CDS83)
http://www.fichiertopo.fr/

Signalons, enfin, que cet article a aussi été publié dans le bulletin SPELEOSCOPE N° 41 du Groupe Biospel, page 179.
Dans ce bulletin beaucoup d’autres articles peuvent intéresser nos lectrices et lecteurs

Lien à copier  et coller en barre de recherche  :               https://speleoscope.ffspeleo.fr/speleoscope_41.pdf

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