Déambulation subterranologique 713

Déambulation subterranologique 713

12 décembre 2023 carrières diverses 0

Déambulation subterranologique      713

Nous avons retrouvé un carnet d’exploration d’un de nos membres, depuis disparu, dont quelques pages retracent sa déambulation un jour de promenade de prospection.
A cette époque, on n’utilisait pas de téléphone portatif, et rarement des enregistreurs de poche. Mais on faisait beaucoup de photos (ou on faisait des dessins) et on prenait des notes. On les prenait « à l’allant », de sorte que l’assemblage de ces notes et photos retraçait l’itinéraire et donnait la chronologie des « découvertes ».
Ensuite, on rédigeait quelque peu l’aventure.
Une pochette de photos accompagnait le texte daté d’octobre 1985.
En voici une  retranscription, qui nous a paru bien représenter ce qu’est une prospection subterranologique, sous divers aspects…

Nous y avons rapporté des photos récentes prises çà et là dans divers lieux et  se rapprochant le plus de celles sur « papier » de cette époque, ou bien photos originales prises en photographie numérique…et « rafraîchies ».

Cela se passait en automne, donc …

-Promenade de curieux dans un bois où je trouve bizarre qu’il y ait une sorte de descente progressive, très régulière, large de quelques mètres, et finissant en cul-de-sac.
– Serait-ce une ancienne descenderie de carrière, vu que, dans le coin, il y en a eu beaucoup pour extraire du calcaire ?
– La nuit tombe, je ratisse cette pente et ses talus latéraux, lampe forte à l’appui, rien d’intéressant.
– Parvenu en haut, j’insiste un peu et j’élargis l’espace de balayage de la lampe…et je vois soudain quelques brins d’herbe qui s’agitent alors qu’il n’y a pas un souffle d’air extérieur… Bizarre…
– Je m’approche et m’incline…oui, ça bougeotte, et en posant ma main sur un orifice gros comme une balle de golf, je sens un air tiède. Bigre !
-J’affouille, écarte maintes branches et autres feuillages, élargis cette petite fenêtre, et finis par y diriger la lampe pour apercevoir des moellons de calcaire bien assemblés.
– Encouragé, je continue le dégagement jusqu’à lui donner une dimension humainement pénétrable…eh, oui, j’ai affaire à un puits !
Un beau puits d’au moins un mètre de diamètre, très bien construit, qui semble ne pas dépasser 7 ou 8 mètres, et sans eau dans le fond.

 

 

– Ayant toujours casque, lampes, corde de 20 m, trois ou quatre sangles et autant de mousquetons, dans mon sac de prospection, j’entreprends une petite descente, juste pour voir…
Un petit arbre pas loin et ma vieille veste pour protéger la corde du gros frottement à la lèvre du puits m’amènent à créer un équipement tout à fait honorable.
– Je progresse avec un noeud italien sur baudrier de fortune en sangles, et j’arrive au sol en une minute pour constater que ce puits donne dans une carrière, une carrière de calcaire, pas très haute.
– C’est bien du calcaire…apparemment du fin et dur. Aucun fossile apparent.
– Je n’ai pas de quoi baliser, mais j’ai deux lampes en forme et mon appareil photographique…je tente une visite de périmètre à main gauche. Si ça se trouve, je ne vais pas aller bien loin! A l’inverse, si c’est grand, pas sûr que le carnet de notes suffise…plus beaucoup de pages.



– 1) Beaux piliers à bras, modèle « gros sucre ». Aucune trace de mécanisation visible…tout à la main !


– 2) Cloche de détente, belle remontée de ciel, stratification bien nette…mais peu de débris au sol. Les carriers ont dû faire le ménage…et utiliser la caillasse pour édifier leur gros pilier, pas loin.

– 3) Loge d’éboulis sur une grosse diaclase…et chauve-souris  en vol ! Je la suis des yeux, elle se pose…c’est un Murin ! Je ne dérange pas plus, on est en hiver…mais apparemment elle ne dormait pas à mon arrivée. Il doit y voir une issue quelque part…


– 4) Je tombe sur une grande « salle »…avec huit petits empilements qui me font penser à des tabourets. Espace très dégagé, beaucoup de signatures faites à la flamme de chandelle ou de lampes à acétylène. Visiblement une sorte de salle à manger et/ou un espace de réunions.


– 5) De nouveaux piliers en tous genres, columnaires ou appareillés en alternance d’assises irrégulières. Beaucoup de fléchages colorés, la plupart au pinceau grossier, quelques uns à la bombe, sans doute les plus récents.

– 6) Un dépôt de déchets faisant suite à une « fête », quelques sacs et boîtes, des canettes, bouteilles de bière, avec traces d’incendie… Hélas !


– 7) Une empreinte d’élément végétal apparaît au ciel…semble être une branche…50 cm x 3 cm environ. On dirait un os…Jolie silhouette autant qu’inattendue !


– 8) Superbe diaclase ouverte dans laquelle de la calcite orangée, teintée d’oxyde ferrique hydraté, s’est développée sur les deux faces libres opposées, jusqu’à confluer ou non selon les endroits. Traces de burinage de récolte par des collectionneurs, sans doute. Quelques éclats abandonnés au sol.

– 9) Plusieurs cadavres de moustiques moisis et perlés de condensation.


– 10) Un certain « ALEXANDRE » apparaît souvent, écrit à la mine de plomb ou gros crayon « noir » ou gravé dans la pierre. « N » inversé…


– 11) Beaucoup de noms et de dates, aucune de ces dernières n’est plus récente que 1988


– 12) Un balisage en bandes réfléchissantes semble suivre le périmètre. Paraît assez ancien, mais clous inoxydables


– 13) Très beau pilier columnaire sous un ciel d’inter-strate marneux ayant servi de couche de détachement des blocs durant l’exploitation.


– 14) Vestiges d’un fût en bois cerclé de fer, ayant servi de réceptacle sous une arrivée d’eau d’infiltration plafonnière


– 15) Petit escalier de trois marches en pierres pour changer de « mur » dans le banc exploité.


– 16) Concrétionnement discret, sous forme de coulée calcitique orangée


– 17) Petits groupes de stalactites fistuleuses, de quelques centimètres.


– 18)  Seconde veine de cristallisation de calcite orangée, environ 4 cm d’épaisseur ( deux fois 2). Traces de burinage intensif.


– 19) Pilier à bras très mal construit, aspect de sapin de Noël, stabilité et efficacité douteuses !



– 20) Surprenante germination d’une très petite graine, hypocotyle très long (30 cm) et micro-cotylédons terminaux
          La graine ici non identifiée voit sa germination étiolée, avec une élongation anormale. Cela est dû à l’auxine, hormone de croissance végétale dont la  proportion est plus importante à l’obscurité qu’à la lumière car elle est détruite par la lumière durable.
Cotylédons ou feuilles peu développés, avec des étioplastes, c’est à dire des chloroplastes sans ou avec très peu de chlorophylle. (scotomorphogénèse)  Les étioplastes se transformeraient en chloroplastes si la plantule était éclairée pendant quelques heures.


– 21) Une inscription « 1619 » paraît authentique…Si oui, carrière du XVII ème siècle ! Au moins…


– 22) Des galeries ayant connu des mycicultures sont devant moi…trois plates-bandes…technique du début du  XXème siècle



– 23) Tas de craon contre une paroi.

 


– 24) Piliers à bras jumelés. Aucun pilier tourné rencontré jusqu’alors, aucune trace de mécanisation ni d’électrification (qui apparaissait vers 1910 pour les débuts).


– 25) Plusieurs éboulements, secteur fragilisé


– 26) Série de piliers forts reliés par des hagues


– 27) Banc de calcaire grossier mais très dur, révélant divers cérithes de petite taille ( 2 à 3 cm). On est dans le lutétien…40 à 45 millions d’années

 


– 28) Zone très dangereuse, vaste descente de ciel du fait d’un inter-strate de marne grise très hydratée. Le doigt peut s’y enfoncer…sol ébouleux très glissant


– 29) Magnifique couloir entre deux hagues continues sur plus de cent mètres.


– 30) Plusieurs passages bas impliquant le rampement.

 


– 31)  » Alexandre » revient pour la quatrième ou cinquième fois. Autour de 1860…

 


– 32) Belle salle avec banc taillé dans la masse de la paroi…je mange et bois un peu


– 33) Piliers columnaires penchés-courbés suite à un déplacement horizontal du compartiment rocheux du ciel

– 34) Deux fronts de taille abandonnés au crépuscule de l’exploitation. Aucune trace de mécanisation ni d’électrification.


– 35) Zone mouillée, flaques et boues.


– 36) Seconde séquence de concrétionnement modeste


– 37) Superbe allée entre des hagues hautes et longues. Ciel d’inter-strate à moulages de turbulences hydrauliques


– 38) Rampe d’accès entre deux galeries d’étages différents


– 39) Étonnante galerie bordée de hagues et piliers montés sur un banc de roche de pleine masse.


– 40)  » Alexandre » encore…


– 41) Ensemble de piliers columnaires massifs


– 42) Cinq cercles d’acier très oxydés porteurs de formations bactério-ferriques


– 43) Volute de fer forgé au sol


– 44) Second front de taille abandonné en cours d’exécution du travail



– 45) Découverte de morceaux de « roche » noire, de densité inférieure à 1, ressemblant à du coke… je constate en effet que cette matière flotte sur l’eau d’une flaque toute proche… ? Du coke, dans une carrière ?


– 46) Troisième front de taille abandonné, très chaotique.


– 47) Base de puits d’aérage comblé par déversement de terre et granulats, par le haut.


– 48) Dessin d’un petit âne…qui me fait remarquer qu’il n’y a quasiment aucun dessin dans cette carrière


– 49) Croix potencée (des scouts ?)


– 50) Indication d’une sortie par la Marne


– 51) Morceau de bois en décomposition truffé de clous très oxydés.


– 52) Fers oxydés porteurs de formations bactério-ferriques en forme de coquillages bivalves (CFB)


– 53) Belle galerie bordée de piliers forts et de hagues soignées


– 54) Débouché d’une cheminée nettement calcitée, circulation d’eau, phénomène karstique, draperies embryonnaires.


– 55) Galerie au sol profondément marqué par la circulation répétée d’un véhicule à roues ferrées. Aucune trace de pattes d’équidé.



– 56) Feuilleté de pellicule de calcite au sol, brisée par les passages.


– 57) Calcification de roches au sol, encroûtement orange.


– 58) Petite zone concrétionnée, avec « perles des cavernes » en alvéole, et graviers calcités


– 59) Front de taille poly-signé de 1838, certainement d’époque.


– 60) Litage de silex noirs gangués décimétriques, éclats très coupants.


– 61) Cales à bras entre deux bancs d’exploitation.


– 62) Puits à eau adossé à une paroi, environ 3 mètres de profondeur, diamètre de 1 m, au ras du sol.


– 63) Zone faiblement concrétionnée au plafond.


– 64) Puits d’aérage carré 0,8 m x 0,8m doté d’échelons scellés en angle tous les 25 cm. Hauteur estimée de 7,5 mètres. (9 m sans les débris au sol)


– 65) Très nombreuses marques de balisage de multiples couleurs et de factures très différentes


– 66) Bout de fil d’Ariane en sisal


– 67) Plusieurs galeries aux parois en béton banché, formant des tunnels de 0,80 x 1,80 m à 1,2 m x 2 m.

– 68) Unique graffiti à caractère sexuel rencontré en quelques heures.


– 69) Galeries renforcées par du béton coffré, plus rustique, formant aussi des tunnels.


– 70) Forte porte métallique en fer forgé très oxydé (1,2 m x 2 m), reprise par des ancrages, scellée dans un blocage en béton, condamnant absolument le passage. Vraisemblablement une ancienne issue, et vraisemblablement vers la Marne.


– 71) Grande étendue de moisissure blanche développée à partir de boisages au sol.


– 72) Important tas de sable extrêmement fin, destiné à amender le mélange fertile pour la myciculture.


– 73) Boisages complètement décomposés en un compost grumeleux.


– 74) Brouette et pelle en attente de mise en action.


– 75) Accès de galerie au toit bardé de rails de soutien, effondré. Vraisemblablement une ex-sortie.


– 76) Grosse dalle effondrée. Dangerosité avérée dans cette carrière abandonnée depuis très longtemps.


– 77) Cloche de descente de ciel dégagée des débris au sol. Belle coupe stratigraphique naturelle.


– 78) Seconde Chauve-souris en vol, non identifiée.


– 79) Pilier maçonné au mortier, très rare dans cette carrière.


– 80) Puits d’entrée retrouvé…après 5 heures de découvertes inopinées…Quelle chance ! Merci, Alexandre !!!

 Il ne me reste plus qu’à remonter…Nœud de Cœur au ventre, Machard au poignet avec une sangle, il n’y a que 6 mètres et des prises de pied dans la paroi facilitent encore les choses.
Il me faudra pas mal de temps pour refermer cela, pour la discrétion mais aussi pour la sécurité d’éventuels marcheurs…probabilité extrêmement faible qu’il y en ait un qui passe juste ici, mais… prudence oblige !

Ce petit texte pris dans un carnet de route, exhumé d’une pile de livres, nous a paru bien refléter ce que peut être une découverte de souterrain ou de carrière, surtout inattendue, tout ce qui peut allumer le regard, poser des questions, faire ressentir les choses du passé, cela avec une paix royale, loin de tout et de tout tracas extérieur…

Les surprises sont là, à chaque virage, à chaque carrefour, derrière chaque pilier, dans la  pénombre…

 

…surprises techniques, historiques, biologiques, paléontologiques, géologiques, sociétales, voire esthétiques… que de sujets !

C’est pourquoi nous le livrons à nos lectrices et lecteurs.
On leur souhaite la même aubaine…

 

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