Les petits secrets des chailles 529

Les petits secrets des chailles 529

8 avril 2022 Spéléologie 0

Les petits secrets des chailles      529

Celles et eux qui fréquentent les cavités naturelles calcaires ou visitent les falaises de craie ont eu toutes les chances de croiser un jour de leur regard ces formations particulières que sont les chailles ou les silex noduleux, sans même connaître ce vocable qui les désigne, et encore moins le ou les processus de leur formation.
Dans cet article, on essaie de se pencher sur les chailles, et ce qui apparaît immédiatement, c’est la variété de leurs représentantes, tant en forme qu’en composition chimique, tant en dimensions qu’en répartition dans les strates sédimentaires, et par conséquent la complexité et la diversité de leur mode de formation.
Les quelques informations dénichées sur Internet révèlent bien la difficulté qu’il y a dans cette entreprise de vraiment savoir, vraiment comprendre dans quelles conditions, par quels mécanismes et schémas réactionnels physiques et chimiques voire biologiques ces « accidents » géologiques se sont développés.,
Que les lectrices et lecteurs ne s’attendent pas à trouver plus loin une ou des conclusions formelles, mais plutôt une collection d’avis émanant très majoritairement du groupe « Biospel » qui rassemble des personnes très intéressées par le monde souterrain et ses peuplements biologiques, mais aussi, accessoirement, occasionnellement, par d’autres de ses aspects.
Parmi les propos des contributrices et contributeurs, qui vont de l’amateurisme aussi sérieux que curieux à la docte expertise, on trouve des thèses et hypothèses qui se complètent, parfois se contredisent ou amènent à douter, ce qui reste une démarche fondamentale scientifique…tout ce qui n’est pas indubitablement prouvé, donc certain, doit conserver une part de doute et conduire à chercher plus et mieux…et à partager les connaissances.

Voici donc cette présentation sans ordre particulier de ce nous avons pu recueillir au sujet des chailles…(mais pas des Chailles, cuvée AOC 2003 !!!)

Wikipedia :

Une chaille (un chert en anglais) est une concrétion partiellement silicifiée au sein de masses calcaires

De teinte généralement claire, la chaille est constituée d’un mélange de calcédoine et de calcite. Cet accident siliceux (opale, calcédoine, quartz) se distingue de la meulière qui correspond à la silicification de calcaire lacustre.
Les silex entrent dans cette catégorie, mais sont généralement considérés séparément. Le passage de la concrétion siliceuse à la craie est brutal pour le silex, graduel pour la chaille. Par décalcification, à l’air libre, la chaille prend un aspect poreux ou caverneux.
On trouve des chailles dans les calcaires du Jurassique, en particulier du Bajocien. Il existe ainsi des gisements sur le plateau (la can) de l’Hospitalet dans les Cévennes, en Moselle et au Luxembourg

Les chailles ont été utilisées pendant la Préhistoire, principalement au Paléolithique supérieur, pour confectionner de petits outils lithiques, tels que racloirs, perçoirs et grattoirs, ainsi que des pointes de flèches. En effet, seules les chailles de petite dimension se prêtaient à la taille.
La présence de chailles est à l’origine du nom donné, notamment, au bois de la Chaille et à la forêt de Chailluz, à Besançon.

Géofestival :

Les formations à chailles constituent des dépôts de roches meubles composés de galets
siliceux divers et de toutes dimensions (1 à 20 cm) emballés au sein d’une matrice argilo
sableuse. Les chailles sont des masses ovoïdes de silice qui se sont formées au sein des
calcaires marins. Ces cailloux siliceux se sont parfois dissociés de leur formation calcaire
d’origine par érosion et ont été remobilisés au sein des formations détritiques continentales.
Blocs de chailles dans matrice sabloargileuse
Cette formation aux contours de dépôts très irréguliers se caractérise par une épaisseur
variable de quelques dizaines de centimètres à plus de 15 mètres.
Les formations à chailles sont largement répandues entre la vallée de la Seine et la vallée de
la Loire, le long d’un axe d’orientation générale sudnord, sur une largeur d’environ 60 km
prenant en compte l’axe de l’ancienne préLoire. En ÎledeFrance, le gisement se localise en
SeineetMarne, entre les vallées du Loing et de la Seine et la limite régionale.
L’élaboration de chailles pour obtenir des granulats nécessite l’élimination préalable de la
fraction argileuse par lavage à forte pression. Après concassage, les chailles fournissent
environ 85 % de gravillons et 10 à 15 % de sables résiduels.
Leur exploitation actuelle est réalisée pour corriger le fuseau granulométrique excessif en
sables (80 %) des alluvions extraites sur le gisement de la Bassée

Marc Lemonnier (2021)

La « chaille » est une roche siliceuse apparentée au silex, généralement de couleur claire, que l’on trouve dans les calcaires du jurassique. Elle s’est créée lors de la diagenèse (formation de la roche) : sous certaines conditions la silice présente dans les boues calcaires peut migrer et se rassembler en nodules très concentrés en silice. Du point de vue qui nous intéresse ici, la chaille présente deux différences notables avec le silex :

  • la taille de cristallisation est beaucoup plus grosse pour la chaille que pour le silex
  • le silex est totalement composé de silice, alors que la chaille peut présenter des gradients de concentration en silice, plus ou moins mélangée avec le calcaire environnant

Pour ces deux raisons, la chaille est moins homogène et moins solide que le silex. Il est plus difficile de la tailler car elle a tendance à se briser selon les nombreuses lignes de faiblesse qui la traversent, les faces des éclats obtenus sont moins lisses et planes, les arêtes sont moins coupantes et surtout plus fragiles : elles s’écaillent plus facilement qu’avec du silex.

La chaille se trouve de manière relativement abondante en certaines parties de la Can de l’Hospitalet. (plateau calcaire des Cévennes vers Millau).
Ces endroits sont relativement aisés à détecter grâce aux genêts qui y poussent souvent. En effet, le genêt est une plante des sols acides, qui ne pousse pas sur les calcaires purs qui sont plutôt basiques, sauf justement dans certains endroits localement plus riches en silice, et en particulier dans les « calcaires à chaille ».
En l’absence de « vrai » silex sur la Can, la chaille a été un matériau de remplacement utilisé par les hommes préhistoriques pour fabriquer des outils et des armes. Il est d’ailleurs amusant de constater la ressemblance des formes de certains morceaux de chaille naturellement brisés par l’érosion avec des pierres taillées rustiques.
Les faibles qualités techniques de la chaille ont poussé les hommes des environs à se tourner rapidement vers l’outillage en fer, ou à importer du vrai silex de zones parfois éloignées (jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres).

Géosciences, Michel Séranne  ( 9 pages + cartes et illustrations couleurs)

http://www.gm.univ-montp2.fr/spip/IMG/pdf/SiliceLacustre.pdf    (lien non actif)

D.R.I.E.E. Île de-France

Les chailles sont des masses ovoïdes de silice qui se sont formées au sein de calcaires marins. Ces cailloux siliceux se sont parfois trouvés dissociés de leur formation calcaire d’origine par érosion et ont été remobilisés au sein de formations détritiques continentales. De tels dépôts, appelés formations à chailles, existent dans le sud de la région Ile de France, sous des formes relativement variées ; la description qui suit prend en compte ces différentes formations.

Les formations à chailles sont largement répandues entre la vallée de la Seine et la vallée de la Loire, le long d’un axe d’orientation générale sud-nord, sur une largeur d’environ 60 km prenant en compte l’axe de l’ancienne pré-Loire.

En effet, les galets de silice qui, dans cette formation, composent les chailles proviennent des calcaires jurassiques de Bourgogne et du Nivernais. Ils ont subi un transport d’environ 150 km au sein de masses boueuses. Cet alluvionnement en nappe a déposé ces cailloutis en vastes épandages ou en chenaux très irréguliers (en surface comme en épaisseur) autour de Montargis, Château-Landon, Lorrez-le-Bocage, jusqu’à Nemours et Episy, sur les paléoreliefs de la craie (en ravinant localement celle-ci).

Les galets de silex ont une patine caractéristique, grise à noire. Leur longueur médiane est voisine de 10 cm ; les plus gros ont une taille maximale de 25 cm, exceptionnellement 40 cm. A côté de ces galets, on rencontre également de gros silex à peine émoussés, épars dans la formation, provenant probablement des formations résiduelles à silex et du sub stratum crayeux de la région immédiatement voisine.

Les chailles permettent d’obtenir une forte proportion de gravillons, classe granulaire très complémentaire des productions issues de l’exploitation des alluvions régionales de plus en plus sableuses. L’utilisation des granulats issus des chailles (gravillons et sables) ressort de la structure du marché orientée vers la demande de bétons hydrauliques et donc beaucoup moins vers les matériaux routiers qui pourtant exigent des qualités auxquelles répondent ces granulats (« dureté », angularité …) (cf. guide technique pour l’utilisation des matériaux régionaux d’Ile de France

PERSEE  (8 pages ) 1978      Norbert Trauth  Médart Thiry   Denise  Badaut   Jean Pierre  Eberhart   (silex et chailles du BP)

https://www.persee.fr/doc/sgeol_0302-2692_1978_num_31_4_1547      (Lien non actif)

Géoforum (quelques belles photos) par « Kayou »   2010

https://www.geoforum.fr/topic/15685-chert-chaille/   (lien non actif)

 

 

BIOSPEL … avis et commentaires  donnés en 2022 :

Patrice Tordjman :

Nous sommes justement en train d’échanger sur le sujet avec des collègues géologues suite à la découverte de matériel siliceux au milieu du plateau de Calern dans le 06. En deux mots, les insolubles siliceux s’agglomèrent par affinité chimique au sein des sédiments carbonatés encore à l’état de vase. Là où ça se complique, c’est que des spongiaires à spicules siliceux jouent un rôle aussi…Affaire à suivre…

Michel Borreguero :

Une chaille est une forme « impure » ou inaboutie de silex. On trouvera également sur Wikipedia des informations sur la formation du silex. Les chailles et silex se forment lors de la diagenèse (transformation des dépôts meubles sur les fonds marins en roches dures) de dépôts riches en silicium, dans les Alpes le plus souvent des spicules d’éponges siliceuses. Le dépôt des sédiments à l’origine de ces chailles et silex est donc contemporain aux dépôts de tests calcaires à l’origine des calcaires (ou craies) dans lesquels on les retrouve. On trouve ces cherts ou silex en amas plus ou moins informes, généralement arrondis, ou encore en bancs minces. Dans les Préalpes, ils sont courants à la base de l’Urgonien ainsi que dans les calcaires jurassiques. Quant à la diagenèse, c’est un processus complexe de dissolution/recristallisation au sein des dépôts meubles, pour aboutir à une roche dure.
Le timing de la consolidation de ces nodules siliceux reste sujet à débat, et il y a probablement des consolidations plus ou moins précoces, en fonction du chimisme des eaux et des sédiments (et de la profondeur/pression). Mais ce que j’ai pu observer dans les Alpes est bien synchrone avec la diagenèse des sédiments environnants. Il n’y a notamment aucune figure de déformation (par tassement) des sédiments au contact de ces nodules. La remobilisation de nodules durs dans des sédiments encore mous doit plutôt être, au mieux, exceptionnelle.

Sur la photo la plus large, on voit bien que les différentes chailles sont alignées et forment une sorte de « banc interrompu ». C’est une figure typique résultant d’un phénomène appelé « boudinage »: sous l’effet du poids des couches superposées, une couche de roche plus dure que les couches de part et d’autre se brise en « boudins » parallèles. Cela signifie que les matériaux à l’origine de ces chailles se sont déposés de manière continue, formant un lit continu, puis ont été partiellement indurées par la diagenèse – manifestement plus fortement que les couches de part et d’autre – , puis ont été « boudinées », puis ont continué à s’indurer, mais de manière individuelle, formant des rognons ou des nodules. La formation de ces chailles séparées est donc un phénomène progressif, durant la diagenèse.Ci-joint un exemple de lit continu (flèche rouge) dans la grotte active de la Diau, Haute-Savoie, développé dans l’Urgonien et visible sur plusieurs centaines de mètres. Ailleurs dans la même grotte, on peut observer des chailles en rognons.

François Gay citant Jean -Gabriel Bréheret :

Comme  dit,  il est difficile de répondre d’une manière univoque à la question. De manière générale, la plupart des concrétions siliceuses dans ces formations carbonatées sédimentaires résultent de la diagenèse précoce (au moins dans un premier temps), c’est-à-dire sous relatif faible profondeur d’enfouissement. Ils sont plutôt liés à des hétérogénéités du sédiment : organismes fossiles, terriers d’organismes, rides de courant, rides de tempêtes), mais d’autres cas sont possibles. À cet égard, dans la plupart des cas, on peut les qualifier de syngénétiques (syndiagenèse). Toutefois, leur remaniement est possible. Balayés par des courants, le sédiment meuble qui tapisse les fonds marins peut être érodé sur plusieurs décimètres, dégageant ainsi une surface d’omission. Dans la mesure où les nodules se sont formés sous faible profondeur dans le sédiment, ils sont alors exhumés, roulés… et peuvent même être colonisés par des organismes encroûtants comme les bryozoaires, les huîtres. Mais ils peuvent également provenir de l’érosion de formations sédimentaires plus anciennes.
Pour répondre de manière adéquate il faudrait connaître le contexte géologique, disposer de photographies (à défaut d’aller sur le terrain)…

Régis Krieg-Jacquier :

j’ai des structures qui y ressemblent dans le Jura méridional au niveau de la perte du Chanay à Poncin (01 – 46.070314 , 5.404276). Lors de désobstruction à l’entrée dans les années 1980, j’étais tombé sur ces structures siliceuses litées sur plusieurs mètres, homogènes et ne correspondant à priori pas à des cimentations de matériel hétérogène. Ça évoque un peu des zones grésifiées. Sur la carte géologique harmonisée au 1/50 000 on est dans le Tithonien, mais ça ressemble plus au début du Crétacé avec des calcaires roussâtres. 

Bénédict Humbel :

 Je m’inscris dans la ligne de la réponse faite par Miguel Borreguero : les chailles connues en abondance en Bourgogne, en particulier dans les calcaires dits « de Prémeaux » (Bathonien inférieur) – mais pas uniquement – sont réputées résulter d’un processus synchrone de la diagenèse des calcaires. Je n’ai pas de connaissance actualisée sur les propositions qui auraient pu être faites sur leur processus de formation. On peut penser qu’il diffère peu de celui des silex de la craie du Bassin de Paris, la morphologie des amas siliceux présentant une certaine ressemblance – même s’il n’a pas été observé de « Paramoudras » dans le Prémeaux, comme il en existe dans la Craie de Meudon (Alain GALOYER s’est beaucoup investi dans la mise en évidence de ces développements verticaux des réseaux de silex). Pierre RAT (Géologue de l’Université de Bourgogne) a indiqué dans son Guide Géologique Bourgogne-Morvan (page 75) qu’elles étaient faites de silice hydratée cristalline (calcédonite), pouvant renfermer  des fragments de Lamellibranches (?) et des spicules d’éponge. L’origine de cette silice, présente par ailleurs en faible quantité dans le calcaire encaissant, serait pour cet auteur un apport en solution à partir de zones continentales soumises à l’altération biochimique, pendant le dépôt de la vase calcaire. La concentration de la calcédoine, telle qu’elle se présente aujourd’hui, reste un mystère (du moins à mes yeux). Il faudrait explorer la littérature internationale à la recherche d’explications plausibles …
Les deux principaux réseaux karstiques de Côte d’Or (Francheville et Neuvon) permettent d’observer ces formations de chailles bathoniennes de façon exceptionnelle.
 
Michel Wienin : (dont illustration jointe)
je confirme tout à fait la réponse de Patrice Tordjman : Une chaille, c’est un silex « merdique » ! C’est un nodule siliceux impur formé dans des calcaires généralement d’origine marine. Si on préfère, c’est de la silice microcristallisée, comme le silex, mais impure, contenant principalement un peu de calcaire souvent dolomitique, un peu d’argile et plus rarement un peu d’oxyde de fer ou de manganèse, qui la rendent opaque alors que le vrai silex reste translucide ; parfois aussi de la matière organique qui donne une couleur beige ou grisâtre et un aspect parfois zoné. Les cassures sont planes ou irrégulières mais pas conchoïdales (à aspect de coquilles), les arêtes sont peu tranchantes et produisent de petits cailloux polygonaux et les chailles ne font pas d’étincelles au fer. Ça n’a pas empêché certaines chailles d’être parfois, faute de mieux, utilisées pour la fabrication d’outils ou d’armes préhistoriques.Sur le plan de la formation, elle a lieu pendant la diagenèse, c’est à dire la période de transformation de la boue calcaire qui s’est déposée sur le fond en roche solide. Des phénomènes aussi variés que l’essorage des boues déposées sous l’effet du poids des sédiments ou des alternances thermiques qui modifient la solubilité de la silice dans l’eau (50-80 mg/l) jouent un rôle dans le phénomène d’accrétion. Normalement, la fixation de la silice débute comme pour les silex sur un « germe » minéral qui peut être le fossile d’un animal à squelette siliceux : radiolaire, spicule d’éponge siliceuse, phytolithe (surtout en milieu lacustre) … Au cours de sa croissance, une chaille peut inclure tout ou partie d’un fossile dont le test est épigénisé en silice, en particulier de nombreux micro-fossiles : foraminifères, mollusques de petite taille… ces associations de faune sont très utilisées par les archéologues pour déterminer l’origine géographique des matériaux des outils préhistoriques.Dans un milieu calme, les chailles devraient avoir une forme de grosse lentille (sphère écrasée) mais en pratique, on trouve de petits rognons arrondis mais parfois aussi des plaquettes ou concrétions allongées, tordues, ramifiées… Celles de la grotte du Coutal (Les Vignes, Lozère) dans les gorges du Tarn sont célèbres chez les géo-spéléos pour être particulièrement abondantes et de forme très compliquée : galerie des ceps de vigne.

En France, on peut trouver des chailles à divers niveaux du Cambrien au Cénozoïque et il y a des formations désignées comme calcaires à chailles un peu partout. Celles du Bathonien de la Hte Marne etc. sont bien connues ; elles sont généralement de forme assez simple et syndiagénétiques (formées au cours de la diagenèse). Elles n’ont pas subi de remaniement depuis jusqu’à leut extraction par l’érosion quaternaire.

On trouve souvent en publications le terme de chert, équivalent anglais de chaille, qui s’applique en français à une couche (chert ruban) ou à une zone (chert massif) entièrement silicifiée (sans nodule individualisé).

En réponse à Michel Borreguero , quant au « boudinage », je ne pense pas que cette explication soit la meilleure, même si la ressemblance est évidente. Le boudinage d’un banc ou d’un simple fossile (bélemnites des marnes du Lias par exemple) nécessite des contraintes qui pour un banc de silice, rigide dès sa formation, ne peuvent être que tectoniques. Les bancs de chailles de Bourgogne ne sont pas plus dans ce cas que les bancs de silex de la craie de Normandie. De plus, ce processus serait inopérant pour expliquer la forme des chailles très irrégulières ou ramifiées. Normalement, les fragments de bancs boudinés montrent des faces de cassure assez planes, bien reconnaissables comme telles, même quand les blocs ont été « emballés » par un concrétionnement ultérieur. Les bancs boudinés roulés en début de diagenèse (tassement sur un fond légèrement incliné par exemple) existent mais sont des morceaux formés de la même boue calcaires que la roche avoisinante. D’une manière générale, les concrétions siliceuses de type chaille / silex se développement par fixation périphérique de la silice en solution dans l’eau au sein de la boue calcaire de dépôt encore saturée en eau avant sa transformation en roche ± solide ; c’est donc bien un phénomène syndiagénétique (contemporain de la diagenèse) mais différent de la compaction-essorage et de ses conséquences. Elles débutent en général par un « germe » qui est un reste d’organisme à squelette siliceux, souvent un spicule d’éponge ou un radiolaire. La solubilité de la silice dans l’eau est faible (autour de 80 mg/l) et celle de la silice réellement dissoute souvent encore plus (~50 mg/l). Cette solubilité augmente fortement avec la température (elle double entre 0 et 50°). Un refroidissement entraîne la précipitation, en général sous forme amorphe. Les germes s’entourent progressivement d’une couche de calcédonite (silex), plus ou moins mélangée de boue argilo-calcaire pour former une chaille. Il n’est pas rare qu’à la cassure on puisse voir les zones de croissance concentriques mais parfois aussi les bandes correspondant à la stratification. On pourrait s’attendre à des nodules à peu près sphériques mais ils sont systématiquement aplatis : c’est dû au fait que la pression de l’eau est verticale et que les radicaux SiO2 ont tendance à se fixer dans la zones de moindre pression où il est plus facile de repousser les minéraux déjà installés et on obtient la forme lenticulaire classique. Pendant la croissance, la majeure partie de la silice ne vient pas verticalement de l’eau libre mais par migration au sein de la masse boueuse : la précipitation fait baisser la quantité de silice présente dans l’eau interstitielle autour de la concrétion. Cette sous-concentration favorise la migration de silice présente un peu plus loin etc. La formation de cheminements préférentiels dans le sédiment produit une alimentation irrégulière du nodule qui développe une forme ramifiée.

On a noté le rôle de la température dans la solubilité de la silice : on en déduit que les concentrations de chailles sont des témoins d’événements géographiques et/ou climatiques. Les successions ± régulières de niveaux silicifiés comme les silex de la craie correspondent à des variations climatiques cycliques comme la formation des interlits marneux séparant les bancs calcaires ou les alternances niveau dur-niveau marneux du Crétacé inférieur provençal tandis que les niveaux isolés, éventuellement continus comme le lit de chert de la Diau témoignent d’événements ponctuels.

Michel Cottet   :

Le présence des chailles est fréquente (autant et même bien plus que les questions des amis curieux de nature), observable pas seulement sous terre lors de sorties spéléologiques ; ici, nous en avons en quantité, de toutes formes, en mélange avec des nodules ferrugineux (et quelques petits fossiles dont les très « classiques » petites ammonites ferrugineuses) sur et sous notre petit terrain, trouvées en rajeunissant notre petite mare au jardin, sur l’étage argovien-oxfordien (une image jointe) ; à noter que, en toponymie et sur les cartes IGN, la plupart des lieux-dit « la chaille » ou « les chailles » sont situés le plus souvent sur les affleurements de ces étages géologiques.

Lionel  Barriquand : (avec ses photos jointes )

Je suis avec un grand intérêt tous les échanges que vous avez sur les « chailles » ou « cherts ». Dans le Mâconnais nous en avons beaucoup et tout particulièrement dans la grotte d’Azé où elles sont bien mises en relief .

Calcaire à chailles aalénien (grotte d’Azé)

Voici quelques remarques :

  • Dans les niveaux aaléno-bajociens du sud de la Bourgogne nous en avons de deux types : des bancs comme vous avez pu le voir sur certaines photos mais également dans d’autres strates des formations isolées plus massives
  • Pour ce deuxième type de formation il s’agit d’éponges qui sont à l’origine de cette formation.

Ralph K. Iler, dans sa bible de la chimie de la silice (Iler Ralph K., The chemistry of silica, solubility, polymerization colloid and surface properties, and biochemistry. John Wiley & Sons, New York, 866 pages) évoque ces formations.

 

Chailles (grotte d’Azé)

Il évoque plutôt des formations de silices biogéniques qui évolueraient vers des formes microcristallines suite à des micro-cristallisations liées à compaction que subissent les dépôts lors de la diagénèse des calcaires. La silice biogénique est présente dans le monde vivant et en particulier dans les algues (mais aussi le riz, le blé, le bambou, la canne à sucre sur terre… où il peut y en avoir plus de 10% dans les tiges ou les feuilles). Initialement la silice serait amorphe et deviendrait micro-cristalline une fois la roche formée. Il évoque qu’il est possible de voir cette évolution dans différents dépôts à différents stades d’évolution (sans malheureusement indiquer de référence). Les changements sur des millions d’années peuvent être notés, par exemple, par une diminution de la solubilité et des changements d’autres propriétés. La silice subit une dissolution continue et une re-déposition biogénique dans les océans qui serait à l’origine de ces formations. Pour information Hurd et Theyer (Changes in the physical and chemical properties of biogenic silica from the central equatorial Pacific, American Journal of Sciences, 1977) ont étudié les évolutions des propriétés de la silice biogénique jusqu’à 40 millions d’années (solubilité, de densité et d’indice de réfraction…).

Kastner et al (Diagenesis of siliceous oozes, Geochimica et Cosmochimica Acta, 1977), ont réalisé des expériences et ont montré que ces phénomènes sont accélérés quand les solutions de silice dissoutes percolent à travers une matrice carbonatée.

Des essais en laboratoire ont été effectués par Oelher et Schopf en mettant des algues filamenteuses dans un gel de silice sous 2 à 4 kilobars pendant 2 à 4 semaines à 150°C Dans ces conditions le gel devient micro-cristallins (Artificial Microfossils: Experimental Studies of Permineralization of Blue-Green Algae in Silica, Science, 174, 1971).

Pour ce qui concerne les chailles issus d’éponges ces organismes peuvent contenir jusqu’à 90% de silice (en particulier dans le squelette). Elles absorbent la silice en solution se trouvant dans l’eau. Leur transformation en chailles suit les mêmes mécanismes que ceux évoqués ci-dessus. La présence de spicules d’oursins et de différents fragments de fossiles en leur sein serait simplement liée à un piégeage de ces éléments par l’éponge.

Pour ce qui concerne la couleur noire des chailles bourguignonnes elle n’est pas liée à la formation de la chaille mais aux bactéries chimioautotrophes qui sont en partie à l’origine du creusement des grottes (Papier Séverine, Baele Jean-Marc, Gillan David, Barriquand L., Barriquand J., « Chemolithotrophic bacterial communities : a likely key factor in the formation of ghost rock?“ in ”Ghost-rock karst symposium, 7-11 octobre » , Han-sur-Lesse, Belgium (2012) ; Baele Jean-Marc, Papier Séverine, Barriquand J., Barriquand L., “A possible bacterial origin for the ”ghost-rock » alteration of limestone in Azé Cave, Saône-et-Loire, France“ in ”Ghost-rock karst symposium » , Han-sur-Lesse, Belgique (2012) ; Barriquand Lionel, Barriquand Johan, Baele Jean-Marc, Dechamps Sylvain, Guillot Ludovic, Maire Richard, Nykiel Chantal, Papier Séverine, Quinif Yves, « Les grottes d’Azé (Saône-et-Loire, France) : de la roche altérée aux sédiments » in Karstologia, 59, 19-32 (2012)).

Il faut également noter que ces chailles ont été utilisées par les hommes préhistoriques comme mauvais silex. C’est en particulier le cas dans la grotte des Furtins à Berzé-la-Ville où lors de ses fouilles A. Leroi-Gourhan avait remarqué ces outils atypiques et avait essayé de créer une industrie berzévilienne. Claire Gaillard a repris l’étude de ces outils et montre qu’il s’agit d’une utilisation opportuniste des chailles comme outils sans taille réelle (article à paraître).

Voilà quelques éléments de réflexion.

 

 

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