Descente dans le Gouffre Berger 221

Descente dans le Gouffre Berger 221

22 juillet 2019 Spéléologie 1

Descente dans le Gouffre Berger – 19-20/07/2019 

La descente de cette cavité, outre ce qu’elle peut offrir en sensations et en beautés minérales est une course  techniquement peu difficile permettant de déniveler plus de 1000 m sous terre…

Un bref récit de notre aventure dans ce gouffre mythique, le premier -1000 découvert et atteint au monde…en 1954.

 

Approche 

 

Cette expédition a commencé un jeudi matin, de bonne heure. Le temps de charger les sacs et matériels soigneusement préparés au cours des dernières 48 dans la vaillante Logan présidentielle, et c’est parti pour 6h de route sous le soleil de juillet. Comme nous sommes en avance au rendez-vous, un petit crochet nous a permis d’aller observer la résurgence du Gouffre Berger, aux Cuves de Sassenage… Pour cette fois, un petit ruisseau très gentil mais qui peut se transformer en un torrent impétueux à la moindre pluie, ce qui a provoqué quelques accidents graves. 

Après un petit parcours en lacets ralenti par des camions de gravats, nous arrivons au camp de base. Un peu de recherche de réseau téléphonique, un coup de fil et 15 minutes d’attente plus tard, nous voilà avec Rémy Limagne, le grand organisateur en chef du rassemblement (car oui, si nous pouvons descendre dans le Berger, c’est uniquement parce que des bénévoles dévoués ont équipé intégralement le gouffre jusqu’en bas, ce qui nous permet de le parcourir sans emmener la moindre corde). Les conditions sont idéales pour la descente, et nous nous répartissons les tâches des premiers à descendre avec un groupe belge dont un membre, hélas, s’est blessé la veille dans une autre grotte. Son compagnon d’aventure viendra donc avec nous à -1000 m tandis que le reste du groupe se contentera de visiter la salle des Treize à -500 m. Notre tâche sera donc d’installer les deux téléphones Nicola (système radio permettant de communiquer à distance, sous terre) à l’entrée et au bivouac à -500 m, ainsi que trois petites pancartes d’information à des points clés du gouffre. 

Une demi-heure de route de montagne défoncée plus tard, nous contemplons le massif de la Chartreuse depuis le parking de la Molière, point de départ du chemin d’accès au gouffre. Nous nous occupons en discutant avec les trois autres groupes qui descendront avec nous le lendemain (deux toulousains, deux lotois et trois essonniens) pour essayer d’espacer les heures de départ, en faisant nos kits et en montant le bivouac… On se couche vers 22h30 à la nuit tombée, le réveil sonne à 6h, on range le bivouac, on s’habille, et le spéléologue belge arrive pour nous informer que l’état de son ami a gravement empiré et qu’il ne peut pas nous accompagner. Nous le remercions de s’être déplacé si loin pour nous prévenir, souhaitons bon rétablissement à son ami et nous partons à 7h pour une journée dont nous ne savons pas encore quand elle va finir… 

 

Course 

 

L’expédition au Gouffre Berger commence par une marche d’approche de 40 minutes dans la forêt et les lapiaz. A l’aller, c’est en descente donc très agréable, et nous arrivons rapidement au trou après avoir doublé les lotois partis quelques minutes avant nous du parking. Les toulousains sont en train de finir de s’équiper et partent juste après notre arrivée, et pendant que nous installons le téléphone Nicola (il faut dérouler les fils connectés aux antennes souterraines), les essonniens arrivent après 2h de marche d’approche, ils se sont perdus !! 

Il est finalement 8h quand nous commençons à descendre. Les puits s’enchaînent rapidement sur des cordes aux gaines fines et quasi neuves, entrecoupés de portions de méandre parfois un peu exposées mais jamais vraiment difficiles. Les puits sont immenses, plus de 10 m de diamètre à la base pour le puits Aldo, qui est aussi le plus profond, avec 42 m de hauteur. Au total, 11 puits pour 250 m de descente, et nous arrivons dans la grande galerie à 9h, après nous être fait dépasser par les lotois juste avant le dernier grand puits.

Il n’y a qu’un mot pour la décrire : immense ! La largeur et la hauteur se mesurent en dizaines de mètres et nous la parcourons pendant près d’une heure, tantôt dans le lit de la rivière (à l’étiage, ce qui laisse apparaître des bancs de marne blanche), tantôt dans de grandes zones d’éboulis balisées par des morceaux de gilet réfléchissant ce qui permet de suivre le bon chemin. Quelques cascades viennent ponctuer le chemin, il n’y a pas énormément de concrétions mais l’endroit reste d’une grande beauté sauvage. 

A 10h, nous arrivons au bivouac (une suite d’alcôves formées de couvertures de survies suspendues sur des cordes à linge, avec des mini-mousses et un stock de bougies, permettant aux équipes qui seraient épuisées de faire une pause au chaud dans leur remontée). Nous y installons le deuxième téléphone Nicola et nous repartons pour la salle des Treize. Cette partie de la grotte est très concrétionnée et nous marchons au milieu de stalagmites de plusieurs mètres de haut et plusieurs dizaines de cm de diamètre, tandis que le plafond et les parois sont parés de stalactites et de draperies toutes plus belles les unes que les autres. Il y a aussi de grandes coulées de calcite et des zones de gours dont certains font la taille d’une piscine. Le tout est très propre, il faut dire qu’il n’y a pas de visiteurs tous les jours, 600 m sous terre ! Après une dernière coulée, nous arrivons au « vestiaire », à -640 m. Ici, la rivière se déverse dans un petit porche qui marque le début des Couffinades, une zone active et étroite qui devient totalement infranchissable dès qu’il pleut. Il est 11h, nous sommes frais, nous y entrons, et c’est sans doute une des parties les plus belles mais aussi les plus fatigantes du gouffre, car l’eau est omniprésente et si on n’est pas équipés de néoprène, il faut utiliser les mains courantes sur presque toute la longueur.

C’est un endroit très sauvage mais aussi très concrétionné, avec de nombreuses fistuleuses de 1 voire 2 m, des draperies… Heureusement, beaucoup de cordes sont neuves et tendues, et la progression n’est pas trop difficile, encore qu’après la succession des 4 cascades avec rappel guidé (dont une munie d’un mât métallique branlant, assez spectaculaire), une pause repas à l’abri du bruit de l’eau fut la bienvenue.

Il est 13h et nous voyons arriver les deux lotois, qui se sont arrêtés vers 900 m, on discute quelques minutes et on repart dans le « grand canyon », dont la descente très glaiseuse, après avoir cherché un peu de quel côté cela passait, durera plus de 30 minutes tant les cordes sont sales et le terrain glissant. Les essonniens nous rejoignent au début de la descente, mais ils ne nous rejoindrons pas, ils font demi-tour là… Nous retrouvons avec joie la rivière et un sol horizontal, mais pas pour longtemps car nous avons à franchir une succession de ressauts et une grande cascade, incluant une main courante oblique au franchissement un peu éprouvant.

Il est 14h et on commence à se dire qu’on n’ira peut-être pas au fond, mais nous avançons, et après un dernier petit bassin équipé, nous arrivons dans une zone basse, la « baignoire ». Trois issues possibles : l’une, dans l’actif, débouche clairement sur un siphon d’après la topo. Christian explore une galerie basse ébouleuse, mais sans trouver de suite. Enfin, j’explore une chatière en hauteur, prometteuse, mais qui débouche sur un boyau sablonneux sans aucune marque de passage, ce n’est pas là non plus. Le temps de boire un coup, nous décidons qu’il est de toute façon temps de commencer à remonter, vu que juste derrière ce passage il y a les puits « du pendule » et « de l’ouragan », sportifs tous les deux… 

Nous repartons vers 14h30, seulement 6h30 (tout à fait dans les temps moyens préconisés) que l’on est sous terre mais on ne s’est pas beaucoup reposés !! La remontée se fait tranquillement dans les puits, mais en revanche le « Grand Canyon » est remonté bien plus vite qu’on ne l’avait descendu (ce qui est classique dans ce genre de passages raides et glissants). Au passage, nous utilisons le filtre à paille de microfibres 0,1µ acheté il y a peu pour renouveler notre stock d’eau, relativement efficace, et surtout il nous a permis d’économiser l’emport de 3 ou 4 litres supplémentaires dans les kits !

Nous faisons une nouvelle pause repas au même endroit qu’à l’aller, au début des Couffinades, il est 16h30 et les toulousains nous rejoignent, eux reviennent du fond, ils ont l’air bien en forme mais il prennent le temps de discuter, de manger avec nous, de s’informer sur les autres équipes et de s’assurer qu’on est en bon état. Nous repartons ensemble mais ils ne tardent pas à nous distancer dans le « réseau des cascades » qui marque le début (à la remontée) des Couffinades. Le passage des Couffinades est nettement moins éprouvant que ce que je craignais, hormis les 4 cascades équipées de rappels guidés, un petit lac à franchir en tyrolienne remontante, une petite chute dans l’eau heureusement sans autre conséquence qu’un gros bleu, et un égarement en arrivant tout près de la sortie (des Couffinades seulement !), car nous n’avions pas vu la corde remontant sur la droite… Nous sortons des Couffinades vers 19h, et j’en suis rassuré car le bivouac n’est plus très loin, et qu’ensuite il n’y a aucune difficulté majeure jusqu’à la sortie. 

La remontée vers le bivouac se fait doucement, lentement même, et je ne profite guère des choses splendides qui nous avaient émerveillés à l’aller. Enfin nous arrivons au bivouac à 21h, nous changeons les batteries des lampes (qui éclairaient tout de même encore plutôt bien malgré 13h de fonctionnement quasi continu dans une atmosphère humide à 7 °C), c’est psychologiquement très agréable de pouvoir voir loin devant soi… Nous ne sommes pas épuisés, donc on repart avant d’avoir froid. La zone entre le bivouac et le débouché du méandre à -250 m nous avait parue facile et presque horizontale à l’aller, je me suis dit que ça serait rapide à franchir mais quelle méprise ! Il nous faudra deux heures interminables dans les blocs jusqu’à ce que Christian, qui marche un peu devant depuis un petit moment, me demande si « c’est à droite ou à gauche ? ». Immense soulagement pour moi qui ai le souffle court depuis un bon moment, cette bifurcation se situe à moins de 50 m du débouché du méandre où nous faisons une dernière pause repas, à 23h. Je suis requinqué et me prends à rêver d’une sortie entre 1 et 2h du matin… Mais pour cela il y a 250m de puits et un long méandre à franchir ! 

Nous partons dans la galerie nettement plus étroite, humide et froide (du fait du courant d’air), maintenant nous savons qu’il faut sortir dans la foulée. Le puits Aldo est remonté assez rapidement, en duo vu que toutes les verticales sont équipées en double depuis le milieu de la journée. On enchaîne les ressauts (où nous retrouvons la bouteille laissée là à la descente, rapidement bue) et le puits Gontard, puis le premier tronçon de méandre. Le méandre paraît presque plus facile qu’à l’aller, sans doute car la fatigue nous incite à aller lentement et que du coup nous avons plus de temps pour réfléchir et trouver les bonnes prises de pieds. Le puits Garby arrive, encore 40 m de remontée, un petit peu moins rapide que l’Aldo, mais on voit que l’entraînement des derniers mois a payé : même si nous allons lentement, chaque mouvement de remontée est automatique et efficace, et à coups de 50 cm, on finit par arriver en haut sans même se mettre dans le rouge.

Il est désormais 1h du matin, nous sommes à -100… La profondeur habituelle des cavités que visite le club en Franche-Comté !! Le méandre se poursuit, nous faisons des réflexions sur le caractère scabreux des parties non équipées de main-courante, pour des équipiers très fatigués lors de la remontée, et enfin le méandre s’élargit et nous arrivons à l’énorme cairn (très élégant d’ailleurs) qui marque la base de la série de puits menant tout droit à l’extérieur. Dernière pause boisson, il est 1h30 et je commence à être vraiment très fatigué, mais dans une tentative d’auto-persuasion, j’annonce que nous pourrions être dehors à 2h. 

Je remonte à la vitesse de l’escargot, plus aucune motivation pour faire le mouvement suivant alors que l’énergie est là, je n’ai pas de grosse difficulté à exécuter chaque mouvement de remontée ni à sortir des puits… Je n’ai pas compté les crans à la descente, je ne sais donc pas combien il faut en remonter, ce qui ajoute à la démoralisation, surtout quand je me rends compte que derrière ce que je pensais être le dernier ressaut avant la doline, se profile encore le puits Ruiz et ses 27 m qui paraissent infranchissables.

Christian est beaucoup plus rapide que moi et me crie du haut qu’« il voit les feuilles des arbres », ce qui me redonne un tout petit peu de motivation et me permet d’atteindre la base de la doline, dernier obstacle avant l’extérieur. Finalement, nous sortons à 3h, après 19h sous terre. Le temps de compléter le cahier à l’entrée et de récupérer nos bouteilles d’eau, nous entamons la marche de retour, car nous savons bien que désormais, chaque minute passée est une minute de sommeil récupérateur perdue. Christian passe devant et je le suis comme un zombie, un pas devant l’autre, mais mes jambes n’arrivent pas à tenir le rythme dont j’aurais besoin pour rester réveillé. Je m’assois plusieurs fois, et chaque fois c’est un peu plus dur de trouver la force mentale de se relever, même si la dernière fois, Christian me décharge de mon kit pourtant plus bien lourd.

Les 200 m de dénivelé paraissaient ridicules à l’aller, mais chaque montée est un calvaire, heureusement nous finissons par atteindre le Scialet des Ecritures et son névé, puis juste après la piste pastorale, puis nous arrivons à la zone plate en contrebas de laquelle se trouve le parking… Nous coupons vers la voiture, on enlève les baudriers et je m’écroule dans l’herbe pour 10 minutes. Il est 5h, nous avons mis 2h complètes pour rentrer à la voiture !! Je pense avoir eu un micro-sommeil car lorsque Christian me réveille, je suis beaucoup moins fatigué. On se change rapidement, on entasse toutes les affaires dans la voiture et on se couche, il est 5h30, le jour commence à poindre, les premiers spéléos commencent à se lever pour descendre, la nuit sera courte… 

 

 

 

Epilogue  

La nuit a été courte en effet, nous sommes réveillés par le Soleil, les paroles et la chaleur, vers 8h30. Je somnole encore une heure avant de trouver la force de vaincre les courbatures pour aller au sommet de la crête, prévenir tout le monde que nous sommes ressortis et en bonne santé. Petit-déjeuner et rangement de la voiture au ralenti, mais nous ne sommes pas pressés, nous discutons un peu avec les toulousains qui sont encore là, puis nous descendons au camp de base saluer et remercier Rémy Limagne pour l’organisation. Après un repas au restaurant à Sassenage pour fêter ça (excellentes ravioles au bleu de Sassenage!), nous nous relayons pour la route jusqu’à Paris, avec une grosse sieste au milieu. 

Ça a été une aventure exceptionnelle, bien au-delà de ce que j’avais personnellement pu entreprendre dans toute ma carrière de spéléo. Certes, il y a le petit regret de ne pas être allés au fond alors qu’il ne manquait plus qu’une chatière à trouver et 2 puits à descendre… Mais -950 m reste, comme le dit Rémy Limagne, « un bon bout », record de profondeur battu pour tous les deux, bref, une belle expédition !  

On ne saurait trop remercier les organisateurs, surtout lorsque l’on imagine la quantité de travail qu’il faut pour équiper et déséquiper (et même rééquiper en milieu de semaine tant les cordes s’usent vite) une telle cavité.

Merci et bravo à eux !!!

 

 

Une réponse

  1. FDP dit :

    Bravo. Très beau texte. -950 c’est super. C’est aussi mon point de retour après 3 tentative en septembre 1996 (ok le vieux). Pour nous demis tour car nous avions oublié notre bite à carbure à l’entré du grand canyon 🙁

    Bonne Spéléo.

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